La dérive : moteur économique à redécouvrir
mercredi 13 décembre 2017 :: perrick :: Management :: aucun commentaire :: aucun trackbackToujours dans Cities and the Wealth of Nation, Jane Jacobs rend compte d'un anthropologue japonais, Tadao Umesao, [qui] observe que, historiquement, les Japonais ont toujours mieux agi en dérivant avec empirisme et esprit pratique que lorsqu'ils ont tenté d'opérer par « intention résolue » et « volonté déterminée ». On est en 1973 et il s'exprime au huitième congrès "International Industrial Design" : le Japon est en puissance, il s'apprête à déferler sur les Etats-Unis. Et pourtant il a connu son fameux MITI : chargé d'encadrer l’activité économique pour l’État, il avait aussi pour mission d'inciter les groupes d'entreprises dans leurs choix. Dans les années 50, et contre l'avis de ce grand ministère, Toyota, Nissan, Mazda et Mitsubishi s'engagèrent dans une compétition tout azimut. En 1980, le Japon deviendra le premier pays producteur d'automobiles. Et l'année suivante il s'imposera une restriction volontaire des exportations de voiture pour ne pas s'attirer des foudres plus grandes encore de la part des États-Unis d'Amérique.
Jane Jacobs montre aussi à quel point les technologies avancent toujours là où on ne les attendait pas : la métallurgie par les bijoux précieux (avant les épées et les lances), le rail par le parc d'attraction (avant le transport de passagers et de marchandises), l'industrie plastique par les jeux bas de gamme pour enfants (avant la pollution systématique des océans) et le web par l'échange académique (avant de manger ce qu'il reste du monde).
Plus de 40 années plus tard, cet enseignement - cette sagesse peut-être - se retrouve à nouveau derrière le Lean Thinking (résultat de travaux de recherche sur le TPS de Toyota). D'abord le problème, d'abord le terrain, d'abord le gemba. Ainsi dans The Lean Strategy, Michael Ballé et ses compères utilisent un modèle mentale spécfique Find, Face, Frame and Form (Détecter un problème, Faire face à la situation, Indiquer les pistes d'amélioration, Façonner la situation), bien loin du plus traditionnel Define, Decide, Drive, Deal (Définir l'axe stratégique, Engager son équipe sur une voie, Piloter grâce au plan, Faire face aux conséquences). Peut-êre retrouve-t-on là une forme de la très vieille querelle entre Aristote et Platon si bien illustrée par la position des mains de deux plus grands philosophes grecs dans L'École d'Ahtènes.
Elle se rapproche en tout de la quête d'une anthropologie des savoirs que Paul Jorion exprime dans A quoi bon penser à l'heure du grand collapse ? : une confrontation entre le savoir des pêcheurs et celui des scientifiques, sur les points où ils diffèrent, soulignait la remarque fondatrice d'Aristote qu'« il n'y a pas de science que de l'universel », mais mettait aussi en relief que, dans la pratique économique de celui qui cherche à nourrir sa famille par son travail, il n'y a au contraire que du particulier, à propos duquel les énoncés généraux de la science s'assimilent souvent à de simples truismes pontifiants, sans implications pratiques.
Ainsi les conférences du Lean Tour cherchent pareillement à fédérer des acteurs locaux autour de conférences et d’ateliers de partage d’expérience et de découverte du Lean management : point (ou peu) de ces énoncés généraux qu'on trouve si fréquemment dans la littérature "business" et qui sonnent vite creux mais plutôt une tranche de vie dans une entreprise qui a décidé d'aiguiser son regard sur sa propre pratique et d'utiliser la méthode scientifique sur ses problèmes de tous les jours. Le Lean n'est pas un livre de recettes tout prêtes (comme Scrum sait le faire) mais un simple cadre pour identifier des axes d'amélioration et s'offrir des ressources en vue d'un changement qu'on sait inévitable (sans pour autant savoir lequel).