Quelques pistes de réflexion complémentaires sur la "Comment la France a tué ses villes"

vendredi 28 octobre 2016 :: perrick :: Espace urbain :: 2 commentaires :: aucun trackback

Monsieur Olivier Razemon,

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre dernier ouvrage : Comment la France a tué ses villes. Je profite donc que vous soyez encore en vie - ce qui n'est plus le cas de Jane Jacobs - pour ajouter quelques remarques à cet ouvrage remarquable.

Pourquoi parler de cette américaine naturalisée canadienne morte en 2006 ? Outre le fait qu'elle a largement stimulé mes réflexions récentes sur l'économie de ville, j'ai l'impression qu'elle transparaît aussi en creux dans votre ouvrage. Ainsi dans un chapitre intitulé Mobilité piétonne universelle, vous attribuez à Frédéric Héran le résumé Les yeux de la rue. Comment oublier qu'il s'agit là d'une de ses remarques les plus fécondes (en particulier dans son livre Déclin et survie des grandes villes américaines). Tellement emblématique même que c'est devenu le titre d'une de ses biographies. J'en profite donc pour mettre la citation au complet (elle date de 1961) :

Il faut remplir trois conditions pour qu'une rue puisse accueillir dans de bonnes conditions des étrangers au quartier et être en leur absence un endroit où règne la sécurité, comme c'est le cas dans les quartiers des grandes villes qui fonctionnent bien.

Premièrement, le domaine public et le domaine privé doivent être clairement départagés. Il ne doit pas y avoir d'interpénétration entre les deux comme cela arrive si souvent dans un tissu de banlieue ou dans les grands ensembles.

Deuxièmement, il doit y avoir des yeux dans la rue, les yeux de ceux que nous pourrions appeler les propriétaires naturels de la rue. C'est pourquoi les façades des immeubles d'une rue destinée à accueillir des étrangers au quartier et à assurer leur sécurité en même temps que celle de ses habitants doivent obligatoirement comporter des ouvertures donnant sur cette rue. Ces façades ne doivent pas être aveugles et présenter des murs sans fenêtres.

Troisièmement, la rue doit être fréquentée de façon quasi-continue, à la fois pour augmenter le nombre des yeux en question, et pour inciter les occupants des immeubles riverains à observer les trottoirs en grand nombre. Peu nombreux en effet sont les gens qui se livrent à l'exercice qui consiste à s'asseoir sur un perron ou regarder par la fenêtre pour contempler une rue vide de passants. Alors qu'énormément de gens se distraient à bon compte en observant de temps à autre ce qui se passe dans la rue.

Je vous invite au passage à lire - si ce n'est pas déjà fait - l'ensemble de son oeuvre. Et au passage, un autre de ses apports - peut-être plus indirect - aura été la création de ses fameuses balades urbaines que vous racontez dans le chapitre La force du diagnostic : ces visites architecturo-urbanistiques ont d'ailleurs pris le nom de Promenades de Jane un peu partout sur la planète.

Toujours outre-atlantique, probablement parce que la dégradation des villes y est plus forte encore, je vous invite à découvrir les travaux de l'association Strong Towns. Il s'agit un média américain associatif qui suit une approche intéressante :

Le dernier point est tout à fait crucial dans leur démarche et permet d'établir des diagnostics plus sévères encore, en particulier sur le coût réel de l'entretien des routes. On comprend alors pourquoi une de leur campagne du moment s'appelle No New Roads et pourquoi nos géants de la grande distribution attendent toujours que le nouveau rond-point soit en place pour s'installer. Ou comment la jolie impasse qui mène au coeur d'un lotissement construit dans les années 1980 présentera 40 années plus tard des trous, des bosses et autres nids de poule : tout nouveau ménage s'installant dans cette douzaine de maisons devrait payer chaque année 21 euros supplémentaires (par rapport aux autres habitants de la ville) pour entretenir ce bout d'impasse "privatif"; à moins qu'un peu de dette soit passée par là et qu'on décale le problème de quelques années encore ou qu'on fasse payer l'addition aux autres habitants.

Parallèlement le Congress for the New Urbanism (CNU) - une autre association pluridisciplinaire (on y trouve des urbanistes, des architectes, des artistes, des artisans, des activistes, etc.) - dresse de son côté un portrait régulier des périphériques et autoroutes "sans futur" : la Nouvelle-Orléans, Syracuse New York City, Toronto, Buffalo, Rochester New York, St. Louis, San Francisco, Detroit ou Long Beach sont dans leurs radars depuis 2014. Son pendant en France, membre du "Conseil Européen des Urbanistes (ECTP-CEU)", la Société Française des Urbanistes, est réservé aux professionnels expérimentés dans la planification urbaine, la composition et l’application des plans d’aménagement de territoires et d’urbanisme. On est encore loin d'une société civile épanouie.

Dernier point, grâce aux travaux d'Hélène Yildiz et de Sandrine Heitz-Spahn (de l'Université de Lorraine), on découvre des corrélations entre civisme local et achat en centre-ville : plus un individu est investi au sein de sa commune, plus il privilégie les commerces en centre-ville. Si on considère que les monnaies locales complémentaires - désormais citoyennes - sont un marqueur possible d'un attachement civique à son territoire, on comprend peut-être mieux le pari d'un ville comme Boulogne-sur-Mer avec ses bou-sols. Bref j'ai l'impression qu'il y a entre démocratie et urbanité des liens à creuser : peut-être pour un prochain ouvrage ?

En tout cas un grand merci pour cette lecture stimulante et passionnante : les commentaires pas toujours bienveillants sous vos billets traitant de ces sujets montrent à quel point le travail pédagogique est loin, très loin, d'être arrivé à son terme.

Des livres, douzième série

mardi 25 octobre 2016 :: perrick :: Livres :: aucun commentaire :: aucun trackback

Huit bouquins lus, la douzième vague

  1. Technological Revolutions and Financial Capital de Carlota Perez
    En commençant ce livre, mes attentes étaient fortes : elles avaient été largement cajolées par les essais de Nicolas Colin et d'autres. Sauf que finalement le livre n'apporte pas beaucoup plus que le graphique (déjà relayé plus tôt). Une précision - et de taille quand même : quand Carlota Perez parle d'un Âge d'Or, elle fait référence à une étroite accointance entre le "Capital financier" et le "Capital productif". Et si les exemples mis en avant par ses commentateurs évoquent un passé flatteur (à commencer par celui des 30 Glorieuses), il peut aussi correspondre - toujours dans son ouvrage - au Reich nazi ou Communisme soviétique : deux territoires où la "puissance d'innover", les capitaux et le pouvoir d'état ont été largement alignés au sein ce fameux paradigme de la "production de masse". livres.onpk.net
  2. The Economy of Cities de Jane Jacobs
    Le genre de livre que je n'ai pas envie de finir : si seulement son nombre de pages pouvait augmenter au fur et à mesure de sa lecture ! J'avais découvert il y a plusieurs mois déjà une courte introduction à sa pensée - It's the cities, stupid - et j'ai enfin pris le temps d'acheter l'ouvrage (édité dans les années 1960). La claque ! L'argumentaire est précis, iconoclaste tout en étant léger : l'utilisation d'anecdotes fouillées permet de toujours s'ancrer dans le réel et d'appuyer les raisonnements économiques qui vont parfois à contre-courant de la doxa ambiante. Ses réflexions sur la Monnaie (nationale et/ou supra-nationale désormais) sont en particulièrement stimulantes. Mais bien sûr, c'est son concept de "remplacement des importations" (plus facile à mettre en place que l'innovation finalement) qui a intrigué ma curiosité et donne des billes à ceux qui pensent qu'il est vain d'essayer de reproduire une Silicon Valley "à-la-française". En filigrane, j'ai aussi découvert une femme authentique et non-conformiste : non-universitaire, pacifiste, désobéissante civile, maternelle, tenace, pas étonnant que Montréal (la ville qui l'a apprivoisée finalement) continue à rendre hommage à la fécondité de ses idées à travers les promenades de Jane. livres.onpk.net
  3. Ainsi soit-elle de Benoîte Groult
    Le 20/07/2016, j'avais évoqué rapidement un livre "plus intéressant" sur la condition féminine : c'est donc celui-ci ! Avec une pointe d'humour et beaucoup de panache, Benoîte Groult faisait le point en 1975 sur la condition des femmes en France et un peu plus loin (à la fois géographiquement et historiquement). Et si les choses bougent, elles bougent lentement : les exemples récents sont encore criants; et pour ceux qui pensent qu'on a fait bien du chemin depuis, un petit rappel : On voit bien que ces hommes vivent comme une provocation le fait que leur femme puisse leur demander une participation aux tâches de la maison. Ils sont allés à l’école mais aucune institution n’a réussi à leur donner la moindre éducation en ce domaine. Certaines n’ont même fait qu’empirer les choses. S’il s’agit de militaires, d’hommes du bâtiment ou de la police, tous les métiers très masculins où il n’existe pratiquement pas de contacts avec des femmes, les stéréotypes sont renforcés. (extrait d'un article sur la prise en charge des agresseurs)... livres.onpk.net
  4. Sapiens : une brève histoire de l'humanité de Yuval Noah Harari
    Une vaste fresque sur l'évolution de l'humanité qui fait d'ores et déjà date (visiblement c'est un énorme best-seller). Pas mal de points saillants qui viennent à rebours d'une "pensée classique". Bref un bon livre pour vérifier la demi-vie de nos acquis scientifiques. livres.onpk.net
  5. Jules César de Shakespeare
    L'histoire de Brutus vu par le grand dramaturge anglais avec du Préférez-vous César vivant, et mourir esclaves, ou César mort, et tous vivre libres ? de du Toi aussi, Brutus !... Tombe donc, César ! dedans. Mais aussi - et surtout - des conjurés qui finiront bien tragiquement pendant que Marc-Antoine et Octave prendront la tête des légitimistes avec succès... livres.onpk.net
  6. The Nature of Economies de Jane Jacobs
    Peut-être moins percutant comme deuxième lecture - après The Economy of Cities, ce livre prend une forme toute différente : une suite d'échanges entre plusieurs "amis". Les concepts de Jane Jacobs y sont cette fois présentés avec plus de légèreté et moins d'exemples, ou de densité. livres.onpk.net
  7. Travailler deux heures par jour de Adret
    Bientôt 40 ans que le livre a été écrit et pourtant on n'a pas avancé d'un poil : les témoignages d'ouvrier ou de secrétaire font toujours aussi mal. Ainsi j'ai re-découvert ce que passer au 32h veut dire quand on travaille en 3 x 8 : le goût de la politique, les échanges avec les amis, la sexualité dans le couple, le moral plus haut que les chaussettes. Avant de tout reperdre parce que les commandes reviennent. Notre salut passera par l'imagination : la seconde partie du livre en fait la démonstration. Les boulots à la con (chers à Graeber) n'ont pas encore fini de nous étrangler. livres.onpk.net
  8. Comment la France a tué ses villes de Olivier Razemon
    Dans ma quête d'urbain, j'avais précommandé ce livre auprès de l'éditeur Rue de l'Echiquier. Et puis Gisèle est arrivée : il est resté de longues semaines sur la table de chevet. C'était pour être dévoré plus rapidement encore... Le journaliste-bloggueur y fait un portrait sans concession de l'impasse dans laquelle se sont mises toutes les villes françaises (hors peut-être Paris et nos grandes métropoles, dont Lille) grâce aux voitures. Avec la mise en place cet été d'un nouveau plan de circulation à Lille (plus de double-sens et moins de deux voies, plus de sens unique et encore plus de contre-sens vélo) et de son opposé à Tourcoing (avec un maire qui remet du parking gratuit en centre-ville), nous aurons l'occasion de voir le résultat d'ici quelques années. J'ai peur pour les Tourquennois. livres.onpk.net

Et si par défaut on ajoutait la piste cyclable

mardi 4 octobre 2016 :: perrick :: Espace urbain :: aucun commentaire :: aucun trackback

Le quartier d'Euratechnologies continue de vivre des mutations. Parmi les dernières en date, des rues (comme la rue Copernic) qui sont passées en sens unique.

D'une voie dans laquelle les voitures se croisaient plus ou moins facilement, on est arrivé à une rue large où il y a largement la place d'ajouter la piste cyclable à contre-sens. Et d'autant plus que le prolongement de cette rue - la rue des Templiers - a déjà son contre-sens pour cyclistes...

Il faut pourtant avouer que ce ne sont pas les vélos qui manquent à Euratechnologies : le matin vers 9h10, il n'y a plus de places sur les anneaux les plus proches de l'entrée et la zone V'lille est saturée.

J'ai imaginé que les peintres en sol n'avaient dans leur camionnette que du blanc le jour J. Mais non, il y avait aussi du bleu pour les places handicapées. A quand de la peinture verte par défaut ?