Des robots et du journalisme à la française

mercredi 27 septembre 2017 :: perrick :: Lean :: aucun commentaire :: aucun trackback

Une des antiennes que Philippe Meyer (que je retrouve avec bonheur sur son Nouvel Esprit public en peau de caste, mais ça c’est une autre histoire) répète à longueur d’émission tient en deux mots : nous aurions en France un journalisme de cour, incapable de faire du simple reportage de terrain et préférant les ragots parisiens. Si son exemple de la semaine parlait de Mme Hidalgo, maire de Paris - que d’autres défendent avec jubilation - c’est la différence de traitement fait aux robots entre les deux rives de l’Atlantique qui m’aura alerté ces derniers temps.

Ainsi le Washington Post décrit dans un long papier du mois d’août 2017 l’arrivée de bras robotisés dans une usine du Wisconsin : chez Tenere, Robot 1 est là non pas pour moderniser la ligne de production, mais plus simplement pour remplacer des ouvriers qui ne viennent pas ou plus. Les raisons sont diffuses : drogue, maladie, dépression, retraite. En plus d’un métier d’ouvrier qui ne fait plus rêver les jeunes et un taux de chômage faible. Alors les robots arrivent en location, $15 de l’heure.

Un peu plus tôt, c’était Fast Company qui proposait un article sur le retour des humains dans les process de Toyota : l’angle est original, et même franchement à contre-courant. Les créateurs du Lean - fidèles à leur tradition du « d’abord des hommes, après des produits » - ne laissent que 8% du travail à des robots : ils ne peuvent améliorer ni leur propre efficacité, ni la qualité de leur travail. Seuls les gens peuvent y arriver. L’exemple cité dans l’article est saisissant : en reprenant (ou re-apprenant) le contrôle sur le processus de fabrication, une usine japonaise a diminué de 10% ses déchets et raccourci de 96% le temps de production des vilebrequins.

Et tout récemment le New York Times s’est aussi fendu d’une exploration dans les entrailles robotisées d’Amazon.

Pendant ce temps Libération propose un numéro spécial sur les « robots tueurs » à venir et des analyses sur des interfaces encore immatures. Même les drones-livreurs ne sont pas pour tout de suite, en France en tout cas (puisqu’en Tanzanie on lance le projet). Pour Le Monde, c’est plus délicat : la recherche montre - quand le serveur répond - surtout des robots de compagnie, un autre "peluche" thérapeutique ou encore chef d'orchestre dans les pages "Idées". Lecteur régulier je me souviens surtout de « débat » : les reportages sont aux abonnés absents (ou presque). Heureusement Le Figaro sauve un peu la mise : on y trouve par exemple en mars 2017 un article sur les robots des champs ou un autre d’avril 2017 sur le robot voiturier à Roissy. Comme s’il ne s’agissait pas d’un enjeu de société majeur, mais juste un luxe d’investisseurs.

Huit bouquins lus, la dix-septième vague

mercredi 20 septembre 2017 :: perrick :: Livres :: aucun commentaire :: aucun trackback
  1. La Grande Transformation de Karl Polanyi
    A l’heure de notre « grande crise systémique », ce livre est effectivement un classique. Lionel Maurel - alias Calimaq de S.I.Lex - y a trouvé des réflexions sur le démantèlement des Communs et à l’avènement du capitalisme moderne. De la même manière, il est une référence régulière de la communauté d’intellectuels plus ou moins amateurs qui gravite autour du blog de Paul Jorion. Ce dernier cherchant très souvent les pistes de notre sortie du capitalisme dans les tentatives socialistes du XIXe siècle. C’est aussi un grand livre d’histoire que j’ai découvert : bien sûr il y a la lente mutation économique du trio terre, travail & argent sous les effets du libéralisme économique (libre-échange, société de marché & étalon-or). Mais il y a aussi les affres du prolétariat dans l’Angleterre victorienne, décrites par le menu. Mendicité, famine, grèves, combats politiques : des pans entiers dont je ne connaissais rien ou presque. Reste bien sûr à savoir où en sommes-nous dans notre « grande transformation ». livres.onpk.net
  2. La révolte des premiers de la classe de Jean-Laurent Cassely
    Un bon bac, une bonne prépa, une bonne école pour se retrouver derrière le comptoir d’un crèmerie ou aux fourneaux d’un restaurant quelques années plus tard. C’est ce parcours - encore rarissime il y a peu - qui est passé à la loupe : c’est argumenté, étayé et débordant d’exemples. Sans oublier, dans la veine d’un Louis Chauvel, le renversement qui peut faire mal : s’agit-il d’une véritable stratégie personnelle émancipatrice pour aller chercher du contact et de la matière ou des prémisses de l’adaptation sous contrainte d’une « élite » secoué par le mal-travail ? livres.onpk.net
  3. La culture expliquée à ma fille de Jérôme Clément
    Monsieur l’auteur a créé puis présidé Arte : si cette carte de visite était suffisante pour me donner envie de lire son livre, elle ne l’est pas pour propager cette inclination. Peut-être tout simplement parce que je ne suis plus dans la cible (j’ai largement dépassé l’âge de l’interlocutrice au moment de l’écriture). Peut-être. livres.onpk.net
  4. Antoine de Vinck - L’esprit des formes de Aude de Vinck et Ludovic Recchia
    Antoine de Vinck est céramiste-sculpteur et potier. Ou plutôt était. Et dans cette monographie, les textes de vieux amis, de critiques d’art ou d’élèves reconnaissants sont rassemblés avec soin et éclairent ses nombreuses facettes : artiste de la terre, humaniste profond, maître-artisan et chercheur passionné. Un portrait touchant réalisé à quatre mains, celles d’une de ses filles (par ailleurs artiste) et d’un historien de l’art. livres.onpk.net
  5. Le pays que j'aime de Caterina Bonvicini
    Une plongée dans l’Italie contemporaine avec ses errements capitalistiques et politiques. Cette fois-ci c’est l’histoire d’une riche héritière ballotée entre les années de plomb et celles de Berlusconi et du fils du jardinier emporté par les lâchetés de son ambition. Un récit facile et agréable pour retrouver des ambiances que j’avais humées dans la péninsule à la fin des années 1990. Avec une pointe de nostalgie au passage. livres.onpk.net
  6. Minority Report de Philip K. Dick
    Quelques soirées de délice pour se replonger dans la logique implacable d’une SF foisonnante : des robots tueurs, des rêves manipulés, des héros retournés, des extraterrestres rusés, des drogues puissantes, des sociétés hallucinées, etc. Une collection de nouvelles pas toujours si éloignées de notre présent. livres.onpk.net
  7. Du cinéma pour le dessert de Rémi Lucas
    Un dessinateur de bande dessinée raconte son parcours de cinéphile : humour et auto-dérision sont au programme. Tout comme les explications stylistiques et les flash-backs autobiographiques (ah, le cinéma pour adolescent des années 70). livres.onpk.net
  8. The Lean Strategy de Michael Ballé, Daniel Jones, Jacques Chaize et Orest Fiume
    Encore un livre sur le Lean donc : mon overdose avant l’été n’aura pas été trop longue. Et l’attente de la pré-commande n’aura pas été vaine : de l’explicitation du positionnement spécifique du penser Lean - qui commence par dénicher les véritables problèmes derrière les petits pas de l’amélioration continue au quotidien - à l’innovation de rupture - qui nécessite un véritable problème client et une direction claire pour les améliorations à explorer - en passant par la comptabilité ou le rôle du management, la dizaine de chapitres dépoussière les a-priori de la vulgate managériale. Et dans le Nord, ça se traduit par un objectif ambitieux pour l’usine de Toyota Onnaing : inventer l’usine propre, à zéro émission de carbone, d’ici 2050. Y'a plus qu'à... livres.onpk.net

La démographie renversera trois tendances globales pluri-décennales : taux d'intérêt, inflation, inégalités

lundi 11 septembre 2017 :: perrick :: Connexe(s) :: aucun commentaire :: aucun trackback

De temps en temps, je découvre un papier suffisamment convaincant pour avoir envie de le partager. Parce qu'il est argumenté et défend une thèse peu orthodoxe. C'est le cas avec Demographics will reverse three multi-decade global trends de Charles Goodhart et Manoj Pradhan, chercheurs invités par la Banque des règlements internationaux.

As the world ages, real interest rates will rise, inflation and wage growth will pick up and inequality will fall.

La thèse tient en une ligne : avec le vieillissement du monde, les taux d'intérêt vont augmenter, l'inflation et les salaires finiront par suivre, et les inégalités par diminuer. Tout ça parce que les Chinois et les Européens de l'Est en âge de travailler commencent à se retirer du marché du travail mondial : les joies de la démographie appliquée à l'économie.

Ces raisonnements basés sur la démographie sont parfois étonnants : Emmanuel Todd l'avait utilisé pour déceler l'écroulement du monde soviétique, pour Malthus les prédictions se sont révélés moins intéressantes. Reste que le papier en question, plutôt léger en équations mathématiques, se lit plutôt bien et s'offre au passage une petite polémique avec Thomas Piketty. En tout cas le Daily Telegraph, lui, ne s'embarrasse par des demi-mesures dans son article sur cette théorie : La dernière fois que les serfs d'Europe se sont soudainement trouvés en grande demande a été après la Peste noire au milieu du XIVe siècle. Certains disent que cela a mis fin à la féodalité. Reste donc à savoir où il faudra en être dans l'avancement de la servitude avant que ces tendances s'inversent effectivement !

Le salon de Simone s'exporte à Lille

vendredi 8 septembre 2017 :: perrick :: Perso :: aucun commentaire :: aucun trackback

Il y a une bande d'agilistes parisiens qui suit les après-midi de Simone depuis plus d'une année : c'est à Paris, une fois par mois. Et comme visiblement ça plaît, il était temps pour Peggy de passer à la phase d'essaimage.

Pour les lillois - agilistes ou non - qui voudraient goûter au délice d'une philosophie grandeur nature, il y a désormais un programme expérimental du côté de Marcq-en-Baroeul. Au menu : quatre thématiques pour quatre jeudi soir (un par mois jusque Noël) : Le manque de temps est-il le mal du siècle ?, Qu’est-ce qui nous rend libres ?, Le numérique est-il virtuel ou réel ? et enfin Qu’est-ce qu’un don ? Chaque soirée sera accompagnée de grignotages au début et de bulles à la fin, histoire de stimuler les neurones entre 18h30 et 21h. Le programme de cours commence le 21 septembre 2017 et bien sûr comme tout ce qui est inutile, il est indispensable ;-)