Huit bouquins lus, la vingtième vague

lundi 16 juillet 2018 :: perrick :: Livres :: aucun commentaire :: aucun trackback
  1. Si la Chine était un village de Hong Liang
    Sept cent millions de Chinois. Et moi, et moi, et moi. C’était en 1966 et ils sont désormais près du double (1 389 millions en 2015). Le regard que porte sur eux le monde occidental (moi y compris) est souvent contrasté : Paul Jorion y décèle de quoi espérer pour l’avenir, Emmanuel Todd au contraire y sent un foyer d’instabilité. Sans trop savoir si l’écart entre les deux tient juste à l’échelle temporelle qu’ils auraient choisie d’utiliser, j’ai lu cette enquête de terrain écrite par une chinoise. Chaque chapitre présente un habitant de son village natal : il devient le révélateur des coutumes, habitudes et difficultés avec lesquelles elle a rompu. Ainsi les migrations urbaines intérieures structurent la vie du village : les jeunes tentent leur chance dans les villes, laissant les grands-parents s’occuper des enfants en bas âge. Ils reviendront plus tôt si une maladie les rattrape (pas de possibilité de se faire soigner hors de son district d’origine), plus tard si les économies permettent enfin de construire leurs propres maisons. Mais pour Hong Liang, le constat est sans appel pour cette vie rurale chinoise : « je vois la décadence et le déclin irrémédiable de la culture et de la vie d’un peuple ». livres.onpk.net
  2. Lean en ingénierie - Guide de voyage de Cécile Roche et Luc Delamotte
    Que peut-il se passer avant la production ? Quand ne sont connus que le besoin client et/ou le produit (au moins dans une première version). C’est le domaine de l’ingénierie. Et c’est à une exploration du Lean dans ce contexte que Cécile Roche et Luc Delamotte nous convient : un territoire moins balisé que celui de l’usine et de ses chaînes de fabrication. Leur guide est d’autant plus précieux pour aborder le rôle du « Chief Engineer » ou le concept de « Takt produit » (pour parler des éléments qui me parlent le plus en ce moment), la méthode du « SBCE » ou celle du « Pull Scheduling » (pour parler cette fois des éléments dont je perçois la pertinence et à travers lequel je décèle notre manque de maturité). Un (gros) bémol quand même : la qualité de l’édition. Au delà des fautes d’orthographe, c’est l’ensemble du manuscrit qui crie de ces petites incohérences disséminées régulièrement : des points qui manquent, des symboles ® et © qui ne sont pas à l’exposant, des renvois de notes de bas de page qui restent à la même taille que le texte, des paragraphes qui se déguisent en liste, des illustrations qui ne sont pas harmonisées (alors qu’il y a en a un tellement belle, la carte de ce « pays de l’ingénierie »). Et enfin celui qui m’a le plus gêné : insister sur Genba (au lieu de Gemba) par purisme japonisant puis offrir du Digital (au lieu de numérique) et autre Trade-off (au lieu de compromis) par suivisme globishisant… Reste à voir si le bouquin aura droit à une deuxième édition - ou un autre éditeur - pour pallier ces défauts. livres.onpk.net
  3. Le monde des hommes de Pramoedya Ananta Toer
    « Le plus grand écrivain indonésien » : la manchette rouge autour du livre aura titillé mon intérêt. Grâce à elle, j’ai été conquis par l’histoire de Minke. Jeune javanais dans une école réservée aux élites néerlandaises du début du XXe siècle, il apprend à naviguer aux marges du colonialisme, entre des Européens maîtres des armes et de la loi et des autochtones engoncés dans leurs traditions. Orienté par une professeure de littérature néerlandaise et un vieil artiste français, il devra se confronter à tout l’univers colonialiste pour défendre idéaux révolutionnaires, ambition personnelle et amour conjuguale. Une émancipation qui passe aussi par la langue et la littérature. Ce premier volume du « Buru Quartet » de Pram appelle la suite : la belle et fragile Annelies n’est pas encore sauvée. Et l’Indonésie toujours sous le joug hollandais. livres.onpk.net
  4. La méthode japonaise pour vivre 100 ans de Junko Takahashi
    Pas de règles formelles, peu d’études scientifiques, ce sont plutôt les portraits qui constituent la trame de cet ouvrage plaisant. Tous les centenaires apparaissent charmants et pleins de vie : tantôt championne du monde, tantôt humble paysan, le plus souvent charmeur, chacun et chacune dans son propre registre. Et si les toutes dernières pages mentionnent ceux qui ont disparus entre l’écriture en japonais et la publication en français - même eux ne sont pas éternels - transparaît l’humanité pleine de ceux qui profitent encore de la vie, aussi longue soit-elle. livres.onpk.net
  5. La septième fonction du langage de Laurent Binet
    Dépoussiérer un fait divers vieux de 40 ans, y tirer des fils et faire émerger une histoire : visiblement c’est la recette utilisée par Laurent Binet pour écrire son deuxième roman. La mort de Roland Barthes sert de point de départ : renversé par une camionnette alors qu’il se rendait au Collège de France, il meurt un mois plus tard à l’hôpital. S’ensuit une exploration uchronique de l’univers intellectuel parisien où Philippe Solers, Julia Kristeva, Michel Foucault, Umberto Eco et quelques autres trempent dans des affaires plus ou moins louches. Une ode décapante et burlesque au pouvoir de la parole, des mots et de la discussion. livres.onpk.net
  6. La sociologie de Lille du Collectif Degeyter
    Chasser la crise industrielle : si elle a fait la grandeur de Lille, Roubaix, Tourcoing entre 1850 et 1950, l’industrie (textile en particulier) s’est depuis déplacée laissant la métropole du Nord en quête d’un nouveau récit et d’un nouveau souffle. Ce sera la tertiarisation avec comme point d’orgue la croissance de l’immobilier de bureaux et la ferveur populaire (Lille 2004 en particulier). Le collectif Degeyter apporte nuances et précisions à ce discours. Car si cette tertiarisation a bien eu lieu, c’est aussi avec son lot de précaires (à commencer par les anciens ouvriers et les immigrés récents) : on ne peut pas comprendre Roubaix (ville la plus pauvre de France) sans savoir que Croix (longtemps championne de l’ISF) est sa voisine. Au niveau de la politique locale aussi le collectif tord le coup à certains préjugés : loin d’être un bastion socialiste, la MEL traduit les efforts conjoints d’une myriade de communes plus ou moins grandes, plus ou moins cossues, capables de se liguer entre elles et de s’accorder sur leur plus petit dénominateur commun si bien que seul un ancien patron - Bruno Bonduelle - semble lui porter une vision de long terme. livres.onpk.net
  7. La femme brouillon d’Amandine Dhée
    Un livre qui aura beaucoup circulé autour de moi : court par son nombre de pages, incisif, coriace et humoristique par sa plume, universel par son sujet (devenir mère). Tout pour plaire. Les belles images des magazines volent en éclat : Amandine Dhée a le talent - et l’expérience - pour percer les carapaces de la bien-pensance, cette douceur mièvre et hypocrite qu’on inflige aux jeunes mamans cernées et épuisées tandis que bébé-doit-faire-ses-nuits-quel-ange, que bébé-pleure-quel-chou ou que papa-a-changé-une-couche-hier-quel-homme. livres.onpk.net
  8. Des souris et des hommes de John Steinbeck
    Vu que c’est devenu difficile d’accepter sereinement tous ces machins qui traversent l’Atlantique, je me suis replongé dans un de ces classiques des années-lycée. J’y ai retrouvé l’histoire dramatique de George et Lennie, le petit - vif et débrouillard - et le grand - fort et innocent. Une histoire d’amitié, brute, probablement le reflet de mes perceptions américaines : un mélange de candeur et d’âpreté, d’animalité et d’idéal. livres.onpk.net