Huit bouquins lus, la vingt-troisième vague

mercredi 27 février 2019 :: perrick :: Livres :: aucun commentaire :: aucun trackback
  1. The secret behind the success of Toyota par Takao Sakai
    Un best-seller japonais mal traduit pour aller un peu plus loin dans ma compréhension du Lean : c’était une belle perspective pour passer les vacances de Noël. Si le livre commence par la phrase bien connu du TPS (Toyota Production System), making only what is needed, when it is needed, and in the amount needed, c’est que le Lean Manufacturing a été la porte d’entrée pour les premières générations d’industriels qui se sont penchés sur les succès de Toyota depuis les années 1970. Mais derrière ces processus le plus souvent en usine, il y a ce what : cette chose qui se vend et qui se décide très largement en amont, dès la conception. Takao Sakai propose d’explorer ces chemins moins explorés : le TPD (Toyota Product Development) ou Lean Product Development. Et à son coeur, il y a ce fameux Chief Engineer ou Shusa. Il a la charge de concevoir l’ensemble du produit, depuis la note d’intention jusqu’à la chaîne de montage. Et sur ce long chemin, les équipes autour de lui changeront : d’abord la direction générale, le marketing ou les équipes commerciales, des « talents » capables d’effectuer analyses et synthèses, puis ce sera le tour des équipes de conception des différents départements (chez Toyota, motorisation, châssis, carrosserie, etc.) avant qu’interviennent les équipes spécialisées de ces même départements, puis les équipes de prototypage et de tests, avant qu’il ne se déplace à l’usine pour l’industrialisation (avec peut-être de nouvelles machines) et que l’y rejoignent de nouveau des vendeurs et communicants. Car les documents de conception ne sont pas juste transmis d’un département à l’autre, le Shusa les accompagne tout au long du développement de « son produit » : il a la main sur chaque décision. En outre si le lieu où il travaille est désormais mieux identifié (i.e. le fameux Obeya), la question demeure ouverte sur comment il advient. Takao Sakai donne quelques indices : de formation technique, le Chief Engineer doit être capable de déployer des connaissances et des accointances en économie, en design et en culture générale (du marketing au droit). Et en creux dans le texte, il transparaît qu’il bénéficie aussi d’une forme de cooptation. livres.onpk.net
  2. Hors des décombres du monde de Yannick Rumpala
    Abonné de longue date au blog de Yannick Rumpala, j’ai suivi de loin l’écriture de son dernier livre, avec la ferme intention de le lire dès sa parution. Il m’avait en effet ouvert à des modèles intéressants pour penser la politique au XXIe siècle et il m’avait aussi guidé vers des champs entiers d’une littérature stimulante (à commencer par le solar punk). Malheureusement ce livre est le fruit d’un travail caricaturalement universitaire : montrer qu’on a lu un maximum de références, présenter une thèse, motiver la thèse, expliquer la thèse et conclure en rappelant la thèse. Puis recommencer la boucle à chaque chapitre. Dommage. Heureusement qu’il reste des livres de SF à découvrir ou à relire, puisque c’est bien elle - la SF - qui invente des mondes possibles. livres.onpk.net
  3. Défions l’augure de Hélène Cixous
    Naviguer entre les lieux, les temps et les affects : le privilège de l’écrivain est immense. Entre New York et Osnabrück, Hélène Cixous nous emmène dans odyssée familiale au long cours, pleine de raccourcis et de poésie. livres.onpk.net
  4. Remote: Office Not Required de David Heinemeier Hansson et Jason Fried
    En février 2018, lors du Lean Tour à Lille, tous les membres présents de l’équipe No Parking avaient participé à une session improvisée sur le travail à distance. Quelques mois plus tard, c’est un ancien stagiaire qui fait le choix « radical » de préférer un poste en full-remote pour son premier poste. Et enfin en septembre de la même année, Matthieu - en déménageant en Flandres belge - inaugure le télé-travail quotidien chez No Parking. Il était temps que je me fasse une culture sur le domaine. Et même si mes contributions à SimpleTest il y a quelques années avait permis de dégager le terrain, les cours chapitres écrits en grand et largement illustrés de DHH et Jason Fried permettent de re-baliser les pratiques. Et de déceler des outils & techniques Lean par endroits. livres.onpk.net
  5. The Value of Everything de Mariana Mazzucato
    Si le PIB est l’alpha et l’oméga de nos politiques publiques, il n’en reste pas moins une création humaine. Il a donc une histoire : c’est celle-ci que Mariana Mazzucato explore et questionne dans son livre. Au delà des approximations des XVIIIe et XIXe (de François Quesnay à Simon Kuznets en passant par Adam Smith ou Karl Marx), c’est l’évolution après la Seconde Guerre Mondiale qui saute aux yeux : la difficulté qu’il y a à calculer l’impact des dépenses de l’Etat fait qu’on préfère en oublier les bénéfices pour l’ensemble de la société et - plus significatif encore - la bascule inverse opérée par le secteur financier quand il intègre le calcul du PIB au tournant des années 1990. D’un secteur qui capture de la valeur en se positionnant comme intermédiaire entre des prêteurs et des emprunteurs, il devient capable d’en « créer » même en faisant de la vente à découvert. Pour contrer cette extraction de valeur via la financiarisation de l’économie, la professeure de UCL invite les Etats à repenser la « valeur publique ». Vaste chantier. livres.onpk.net
  6. L’Arbre-Monde de Richard Powers
    Une dizaine de personnages se relaient dans cette éco-fiction afin de prendre soin des arbres, de les défendre désespérément ou de les étudier humblement. Au passage Richard Powers nous entraîne dans la vie : celle qui craque sous les pas dans une forêt ou celle qu’on oublie sous le poids du système capitaliste. Car les véritables héros, séquoias, ifs, hêtres, châtaigniers, ginkgos, noyers blancs, tilleuls et autres érables ou dragonniers, ont la patience nécessaire pour contempler de notre agitation. Ils ont déjà traversés plus de 350 millions d’années, bien loin de nos maigres 2,5 millions. Alors bien sûr cette fresque est un vibrant appel pour notre espèce humaine, à notre humanité : « quel est le meilleur moment pour planter un arbre ? Vingt ans plus tôt. Et à défaut ? Aujourd’hui. » Le futur s’écrit bel et bien en fiction. livres.onpk.net
  7. Voir le voir de John Berger
    Admirer des œuvres archi-connus et se laisser surprendre par le regard d’un autre. Cet autre s’appelle John Berger, écrivain, poète et critique anglais. Il nous invite à penser avec ses mots ce que la reproduction de masse fait aux tableaux, ce que la critique nous impose, ce que la publicité utilise de l’histoire de l’art, ce que les mécènes - puissants ou riches - façonnent à travers les traces qu’ils commandent aux artistes (et que seuls les meilleurs d’entre eux arrivent à sublimer). Et ses rapprochements d’images, de tableaux et de publicités, parviennent eux aussi, souvent encore plus directement que les mots, à nous faire voir ce voir. Un livre hybride et détonnant qui tire sa source dans une série télévisuelle de la BBC. livres.onpk.net
  8. Designing the Future de James M. Morgan et Jeffrey K. Liker
    Une très grosse entreprise - Ford en l’occurence - qui passe tout près du dépôt de bilan en 2008 mais qui, grâce à son PDG - Allan R. Mulally - retrouve le chemin de la croissance quelques années plus tard. Wikipedia retient de cette histoire les ventes (de Jaguar, de Land Rover, d’Aston-Martin et de Volvo), les baisses de salaire (de 76$ à 55$ de l’heure pour les ouvriers), la proximité entre le siège sociale de l’entreprise et le domicile de son dirigeant (moins de 5km) et bien sûr sa rémunération (178 millions de dollars sur 6 années). De la même histoire, Designing the Future tente de tirer des leçons Lean : car si la stratégie de Allan Mulally avait des aspects très financiers, elle était aussi centrée autour du leitmotiv « One Ford » et sur le choix audacieux de produire de nouveaux véhicules. Et si les exemples sont nombreux et divers (y compris en dehors de l’automobile), les directions ne sont plus inexplorées : un Chief Engineer, une organisation apprenante, une conception « set-based », une articulation fine entre standards et kaizen, une Obeya, un contexte tendue vers un objectif commun et partagé. Cela a marché pour Ford sur son marché nord-américain, cela a aussi fonctionné pour une société qui exploite des hydrocarbures au fin fond des océans (à 3km en dessous du niveau de la mer) sans qu’une intervention humaine ne soit possible en cas de gros pépins. On évitera donc soigneusement les questions fâcheuses de l'impact écologique pourtant si centrales chez Toyota. Plus gênant pour un livre de théorie managériale, le pourquoi ça marche ? est lui aussi passé sous le boisseau des retours d'expérience (mais peut-être aurait-il fallu commencer par The Toyota Way d'un des auteurs). En attendant je reste sur un goût de superficialité avancée. livres.onpk.net