Quand un mathématicien pleure de ses modèles
vendredi 24 mars 2017 :: perrick :: Connexe(s) :: aucun commentaire :: aucun trackbackVoir un mathématicien pleurer.
Non pas la perte d’un être cher, mais bien à cause de la mathématique elle-même. Tel est l’image que donne George Papanicolaou de sa discipline : prise dans les mailles de la finance néo-libérale, elle aura été capable de sécuriser tout le monde tant que « ça allait » et malheureusement incapable d’alerter nos dirigeants du risque systémique. Si vous n’avez pas vu Comment j'ai détesté les maths, il est peut-être encore temps; même si le documentaire date de 2011, il résonne encore en 2017. Il résonne d’autant plus pour moi que j’ai fait des études de mathématiques. À Londres. Entre 1995 et 1999. Et que ce « monde de la finance » a probablement embauché plus de la moitié de ma promotion.
Paul Jorion, celui là même qui nous invite désormais à se débarrasser du capitalisme car c’est une question de survie, a déjà bien identifié l’effet de fronde de cette finance-là : un « système qui génère de nouvelles aristocraties, ces 1% de la population qui détiennent 40% des richesses, et qui sont devenus un obstacle à la réforme du système ». Il nous invite désormais à soustraire l’argent de ce système dompté par les mathématiques financières. D’après lui, le revenu universel ne ferait qu’aggraver les choses : « 90% des sommes qu’on distribuera se retrouveront dans le coffre des banques », libre ensuite aux banquiers de trouver les équations pour en détourner - à leur profit - le maximum, sous couvert d’une assurance personnalisé par exemple.
[Sa] proposition alternative, c’est d’étendre la gratuité. On peut revenir à une santé et une éducation gratuite, et développer la gratuité de l’eau, des transports publics, et d’une alimentation de base. Ce qui ne représenterait pas des sommes considérables, serait à l’abri de la prédation des banques, et irait à l’encontre du consumérisme – contre lequel un revenu universel ne serait pas protégé.
Le aikishugyosha(élève en aikido) que je suis devenu l’année dernière apprécie. Relâcher en souplesse et proposer de la légerté pour retourner l’agressivité d’un adversaire, c’est délicat et redoutable à la fois. Et au passage ça rapproche des mathématiques, par la voie de leur élégance et de leur beauté.
Une semaine de 4 jours, le nouvel objectif chez No Parking
mercredi 22 mars 2017 :: perrick :: Entreprenariat :: aucun commentaire :: aucun trackbackDans mon premier boulot - chef de projet multimedia dans une petite agence de communication aujourd’hui disparu - j’étais arrivé en pleine négociation des 35h (on est en 2009) : les patrons y réfléchissaient ardemment, il fallait quelqu’un pour représenter les salariés, j’y suis allé. Et puis il y a eu des aménagements pour les petites entreprises et les RTT nous sont passées sous le nez.
Presque quinze ans plus tard, j’explore le côté politique de la chose (initialement via le Collectif Roosevelt) mais la semaine de 4 jours ou les 32h restent encore tabou en France : quand bien même une campagne circule en ce moment - du travail pour tous - je n’attends plus grand chose de ce côté-là, le personnel politique sera le dernier à évoluer.
Restait donc le cas de No Parking : l’équipe y est encore à 37h30 - sans RTT. Alors que c’est l’endroit où je peux avoir le plus d’impact (j’en suis le dirigeant après tout) et où je suis le plus libre (avoir 100% du capital, ça aide). Et ce 21 mars, la petite équipe au grand complet - trois développeurs, une commerciale et une designer - vient de se fixer un objectif ambitieux pour la prochaine année fiscale : les 4 jours par semaine pour le prochain printemps (2018 donc), pour tout le monde, sans baisse de salaire. Et ce sera mieux encore si on pouvait augmenter tout le monde au passage.
Il paraît que le Lean permet ce genre prouesse : résultat dans un peu plus de 52 semaines.
Huit bouquins lus, la quatorzième vague
dimanche 19 mars 2017 :: perrick :: Livres :: 2 commentaires :: aucun trackback- Contact de Matthew B. Crawford
La suite de l’exploration du réparateur de moto philosophe : cette fois-ci M. Crawford nous plonge dans les affres de la modernité. L’évolution des aventures des personnages de Disney (de Mickey à Donald Duck en passant par Dingo) en est un marqueur : d’abord décontenancés par les objets d’un quotidien récalcitrant - et donc forcément très drôles - ils ont désormais une boîte magique avec des outils capable de répondre parfaitement à n’importe quelle situation. L’effet burlesque a disparu, la matière est escamoté et le réel perd toute aspérité. Cette quête d’un rapport désirable avec le monde, parce que formateur et enrichissant, le mènera à explorer la musique des salles de sport YMCA et Kant ou Kierkegaard, l’Américain statistiquement moyen et les tuyaux d’orgue de Taylor & Boody. Des allers-retours entre lecture de philosophie classique et analyse des gestes du travail ordinaire très féconds. livres.onpk.net - Chez soi : une odyssée de l'espace domestique de Mona Cholet
Fan de Mona Cholet depuis ses longs essais dans Périphéries, j’adore sa façon si particulière d’écrire des livres : un véritable papillonnage de références érudites en extraits éclairants pour défricher un terrain, la maison cette fois. Un battement de page m’a donné envie d’aller voir du côté de Christopher Alexander et de son classique A Pattern Language: Towns, Buildings, Constructionsi cher à tous les développeurs qui ont étudié nos fameux Design Patterns. Un autre nous mène à une comparaison entre les elfes d’Harry Potter et les travailleurs uberisés. Et toujours des références au féminin, comme ses pages autour du livre The Feminine Mystique : y entrevoir la chape de plomb, mortifère, glaçante et terrible, qu’on subit les Américaines avant 1963, effraie. Littéralement. Et visiblement elles ne veulent pas la voir revenir. livres.onpk.net - Petite poucette de Michel Serres
Un livre trop court et trop superficiel pour m’avoir intéressé durablement. livres.onpk.net - Tout peut changer : Capitalisme & changement climatique de Naomi Klein
Ce gros volume est alarmant : tout d’abord sur les méfaits de l’industrie extractiviste, mais aussi sur le combat idéologique mené des mécènes tantôt malveillants, tantôt opportunistes mais toujours fortunés. Eux ont choisir leur camp : ils veulent un capitalisme triomphant. Des habitants de la planète ne pourront le supporter et les années qui viennent seront décisives : ce sera eux ou nous, avec en première ligne les peuples autochtones et autres zadistes. Une démonstration implacables et très fouillée avec ce qu’il faut de touche personnelle pour sentir poindre la véritable humanité. livres.onpk.net - C'est toi le printemps ? de Chiaki Okada et Ko Okada
Un livre tout mignon avec des dessins magnifiques de simplicité et de douceur : l’histoire d’un lapin pressé de voir arriver le printemps. Et voilà qu’un grand ours blanc arrive… livres.onpk.net - Le management Lean de Michael Ballé et Godefroy Beauvallet
J’avais découvert le Lean via les livres de Mary et Tom Poppendieck, probablement au milieu des années 2000 : j’en avais profité pour faire sauter les itérations « agiles » qui étaient devenu un véritable carcan pour Opentime. En effet une fois qu’un logiciel Saas est en production, il n’est plus question d’attendre une semaine pour livrer une correction à un client. Nous avions au passage remplacé l’appellation « post-it » par « kanban » et nous nous proclamions « Lean ». Dix années plus tard, il était plus que temps d’aller revisiter ces notions : visiblement le chemin vers l’excellence est encore long, y compris pour No Parking(et nous aurons l’occasion d’en reparler prochainement). livres.onpk.net - Culottées de Pénélope Bagieu
Cette série de portraits au féminin a été publiée par épisode en 2016 sur un blog du Monde.fr: le livre est réjouissant avec de grandes illustrations qui viennent avantageusement compléter les planches du blog. On y découvre une galerie de femmes hautes en couleur, en conviction et en courage. Je n’y connaissais que Joséphine Baker. Entre Clémentine Delait, Delia Akeley, Agnodice ou Wu Zetian, les découvertes sont nombreuses. livres.onpk.net - Systems of Survival de Jane Jacobs
Jane Jacobs continue de me surprendre : je la connaissais pour ces réflexions économiques et urbaines, je la découvre sur des territoires philosophiques et politiques. Dans ce livre, elle explore deux « syndromes » qui sont autant de manière de survivre : celui du gardien lié au territoire (éviter le travail, adhérer à la tradition, être loyal, dispenser des largesses, etc.) et celui du marchand lié à l’échange (éviter la force, respecter les contrats, être honnête, être ouvert à l’inventivité et à la nouveauté, etc.). Elle montre combien ces deux systèmes sont mutuellement exclusifs : on ne peut pas à la fois être prompt à la vengeance ou prodigue en loisirs (d’autres aspects du gardien) et être économe ou promouvoir le confort et la commodité (ceux du marchand). Les combats à droite pour la présidence de la République en donnent des échos navrants : Mme Le Pen et M. Fillon, tous les deux figures sévères, autoritaires et nationales (des gardiens) sont rattrapés par des affaires financières (très marchandes donc); M. Macron, ancien banquier qui rêve d’une France de milliardaires habillées en costard (un marchand), se cherche une posture contre-nature à travers les grosses ficelles du service militaire(fétiche de gardien). Ces mélanges de genre sont - d’après elle - à l’origine de nombreux problèmes, quand bien même les uns ont besoin des autres (et réciproquement). Cherchez une organisation qui, d’une part, exige une loyauté à tout épreuve et sait être fataliste, et qui, d’autre part, fait preuve d’esprit d’entreprise, respecte scrupuleusement les contrats et sait investir à des fins productives; vous trouverez peut-être la Mafia sicilienne et sûrement un monstre. Si on veut éviter le système des castes (la France de l’Ancien Régime, mais encore l’Inde du XXe siècle) qui figent les personnes dans des rôles et qui bloquent les mélanges, il reste la « flexibilité bien informée » : elle permet aux uns et aux autres de passer successivement de l’un à l’autre de ses syndromes au gré des activités, sans les confondre. livres.onpk.net
Demain, un Super Apéro PHP ! Une Super Journée AFUP en 2019 ?
mercredi 8 mars 2017 :: perrick :: PHP :: 2 commentaires :: aucun trackbackDepuis le PHP Tour à Lille en 2011, plus grand chose ne s’y passait côté AFUP dans la capitale des Hauts-de-France. Il y avait bien eu la création d’une antenne locale mais finalement peu d’apéros. Heureusement les SfPots ont pris le relais : cette dynamique a abouti au dossier de candidature pour le PHP Tour 2018. Les esprits chagrin retiendront qu’il n’a été retenu cette année (bravo Montpellier), mais il le sera plus tard c’est certain. Mais encore une fois comment conserver cette envie d’aller de l’avant ?
Ce 9 mars 2017 est devenu en moins d’un mois le grand rendez-vous de toutes les villes qui font du PHP au quotidien. On y retrouve bien sûr celles qui ont déjà leurs apéros réguliers (comme Paris ou Lyon) mais surtout toutes celles dont la dynamique s’était essoufflée (Lille donc, mais aussi Bordeaux ou Luxembourg) ou celles qui émergent (Poitiers, Montpellier, Reims). Tous ces micro-évènements sont la preuve qu’il faut du rythme pour qu’une association tienne, qu’il faut des rendez-vous réguliers.
Pendant longtemps tout nouveau bureau de l’AFUP a eu une mission non-négociable : faire en sorte que le Forum PHP soit organisé. Le reste du programme d’un bureau est bien sûr important mais jamais impératif. Seul le Forum PHP l’est. Il est synonyme de vie pour tous les membres. Depuis le PHP Tour s’est installé : il permet à une ville d’impulser une dynamique sur un territoire (Luxembourg ou Montpellier en sont les meilleurs exemples) ou d’apporter un coup de projecteur sur des actions de terrain régulières et de qualité (plutôt le cas de Clermont-Ferrand).
J’ai l’impression qu’on détient avec ce Super Apéro, une formule intéressante pour permettre le développement des antennes locales : une formule souple (un bar et un organisateur dans une ville suffise pour se lancer) et une date fixe (la motivation des villes en dépend). Il ne reste plus qu’aux plus motivés d’y adjoindre une journée ou une après-midi de conférences et d’appeler ça : « la Super Journée AFUP ».
Ainsi on n’empiète pas sur le PHP Tour (qui reste à 2 jours), on se permet de faire plus qu’un apéro en profitant de l’effervescence nationale. Les lillois, dans votre dossier du PHP Tour 2018 il y a tout (lieu, speakers, thème, sponsors) : on la monte, cette journée spéciale ?
Le Revenu de Base est une super solution. Mais à quel problème ?
vendredi 3 mars 2017 :: perrick :: Connexe(s) :: 2 commentaires :: aucun trackbackLors de la consultation pour choisir un candidat citoyen à l'élection présidentielle de 2017 via LaPrimaire.org, j'ai été surpris par une réponse de Nicolas Bernabeu sur ce fameux revenu de base.
Ce médecin corse de 31 ans - très diplômé et visiblement plutôt à gauche - propose un revenu de base pour « simplifier les systèmes économiques et sociaux », éviter les taxes (plus de CSG, plus de CRDS, etc.) et les allocations (familiales, chômage, maternité, etc.) tout en assurant nourriture, logement, santé pour une somme comprise entre 1250 pour ceux qui ne peuvent pas travailler et 850 euros par mois pour les autres.
Imaginons certains conséquences de ces cas précis :
- Développeur informatique, je viens de négocier une rupture conventionnelle : un ancien collègue, certain comme je le suis aussi, de retrouver un boulot, a pris du temps indemnisé par les ASSEDIC pour faire du bénévolat en journée, s’occuper des ses enfants, revoir sa femme et surtout retrouver un boulot qui ait plus de sens. C’est bien ce que je pensais faire aussi. Sauf qu’avec un prêt sur les épaules, on ne peut pas se permettre une telle décote même pendant 2 mois, je préfère retrouver un boulot au plus vite.
- En tant que consultante en organisation, je gagne bien ma vie (pas loin de 3000 euros sans les primes mais avec des déplacements fréquents un peu partout en France) et mon premier enfant arrive : ma rémunération mensuelle va être divisée par trois du jour au lendemain. Prévoyante, j’ai cotisé suffisamment dans le privé pour tenir sur cette période pas si courte.
- Bientôt retraité j’ai cotisé toute ma vie comme agent administratif dans une mutuelle d’assurances. J’ai fait mes petits calculs et je vais perdre une partie de mes « droits » par rapport à l’ancien système public ? Heureusement, moi aussi, j’ai utilisé en sus les services d’une banque privée suffisamment longtemps pour constituer une véritable épargne et tenir sur cette longue période.
- Je suis une jeune salariée; je gagne 1600 euros net par mois depuis bientôt 2 ans autant dire que je n’ai pas encore mis beaucoup de côté. Et là, je me retrouve brutalement hospitalisée pour 2 semaines, au minimum. Plus la ré-éducation derrière. C’était tout à fait honnête avant mais maintenant : est-ce qu’il va falloir que je fasse un prêt pour payer le petit studio vide pendant que je goûte à la chambre d’hôpital ?
Qui est prêt à perdre une partie de ses revenus, gagés sur le socle de notre contrat de société (la solidarité nationale), pour un revenu de base comme celui-là ? Pas une majorité de Français, je le crains. Vous me rétorquerez bien évidemment qu’il y a d’autres formules possibles. Vous auriez raison… Mais au juste à quoi servirait ce revenu de base ? Car la véritable question est là. Et malheureusement elle est absente de bien des débats.
A-t-on peur de la disparition du salariat, emporté par des robots ? De l’empilement administratif qui se complexifie à chaque législature ? Des inégalités toujours croissantes, renforcées par des politiques de dumping chez tel ou tel voisin ? Des loyers trop élevés en ville, devenus des barrières insurmontables de l’ascenseur social ? De la fin des retraites par répartition, après les écrêtages forcés des modèles par capitalisation ? De la disparition des solidarités nationales, européennes ou mondiales ? Des mutations incontrôlées du capitalisme contemporain ? D’autre choses encore ? De tout cela à la fois ?
Mon impression tenace est que le revenu de base est devenu un mot qui obscurcit le débat, qui empêche de se poser les bonnes questions. Une impression partagée visiblement.
Les robots qui pourraient fabriquer puis conduire des camions ? Bien sûr que j’en veux plus : les boulots pénibles et répétitifs, en 3x8 ou loin de chez soi doivent devenir une chose du passé. Et si on en profitait plutôt pour passer d’abord à 32h, puis à 28h.
Les procédures administratives contraignantes ? Oui bien sûr - et tout de suite même - s’il s’agit de protéger mes filles des perturbateurs endocriniens : visiblement l’Union Européenne préfère pour le moment faire passer le profit d’industriels en priorité. Et pour ceux qui en veulent moins, je suis prêt à être beta-testeur sur le prélèvement de mes cotisations d’indépendant à la source qui permettra en plus à l’État de pré-remplir ma déclaration d’impôts. On a des équipes minuscules au sein de beta.gouv.fr alors qu’on peut imaginer y améliorer des services existants et même en créer des nouveaux.
La fin du travail ? Visiblement Google a encore besoin d’un paquet d’ingénieurs pour détecter les commentaires haineux et la France pourrait créer un million d’emplois supplémentaires pour répondre aux enjeux écologiques, sociaux et économiques de la Transition. On a encore de la marge.
Les inégalités astronomiques ? Alors même que les sirènes du dumping fiscal promis par le Royaume-Uni commencent à se faire entendre, on pourrait commencer par une harmonisation fiscale.
Le capitalisme contemporain, hiérarchique, vectoraliste et anti-régulation ? La crise écologique nous fournit les détracteurs attendus et affutés (les affairés de gros sous), des alliés inhabituels (les peuples autochtones) et un levier encore plus puissant (le changement climatique) : c’est en tout cas la thèse - très argumentée - de Naomi Klein dans son dernier ouvrage Tout peut changer : Capitalisme & changement climatique.
Bref avant de faire passer notre si chère Sécu par pertes et profits, il faudrait peut-être vérifier qu’on ne détient pas juste une balle d’argent.