De la division de la souveraineté comme antidote aux transactions de déclin économique

jeudi 9 novembre 2017 :: perrick :: Espace urbain :: 2 commentaires :: aucun trackback

Pendant que Madrid et Barcelone s'écharpent, j'ai repris un livre de Jane Jacobs : Cities and the Wealth of Nations. Non traduit en français (à ma connaissance au moins), il trace les milles et une manières pour un territoire de tomber dans le déclin. Tout commence par une ville, avec ses deux moteurs de développement économique : le remplacement des importations d'une part et l'exportation par l'innovation d'autre part.

Cities and the Wealth of Nations - Jane Jacob

Certains territoires auront la chance d'avoir une telle ville-locomotive. Mais d'autres seront piégées par leurs matières premières (elle donne l'exemple de l'Uruguay et de sa capitale Montevideo au milieu du XXe siècle). Pour d'autres encore ce sera l'arrivée d'une technologie extérieur : les paysans rendus obsolètes par les engrais, les machines ou les techniques importées n'auront que la misère pour horizon, leur territoire n'ayant pas de ville capable de leur fournir un travail (elle se réfère à l'Ecosse du XVIIIe ou la Cotton Belt aux Etats-Unis après la guerre de Sécession). Ensuite il y a bien sûr l'illusion de l'attractivité : le temps d'amortir son équipement et l'usine ira voir ailleurs, vers un mieux offrant. Ou celle plus pernicieuse encore du capital exporté qui ne sert pas à sa ville d'origine pendant ce temps d'amortissement, et qui pourrait lui manquer si elle venait à traverser une mauvaise passe pendant cette période. Surtout une ville a besoin de consoeurs à sa taille pour échanger et faire vivre son mouvement de remplacement des importations.

Jane Jacobs propose un chemin radical et totalement utopique pour renouer avec des formes d'épanouissement économique : diviser les économies nationales qui étouffent les échanges fructueux entre villes et forcent ce qu'elle appelle les transactions de déclin (à commencer par les subventions obligatoires) pour laisser à ces dernières la gestion de leur développement (à commencer par leur propre monnaie, considérée en particulier comme un régulateur économique automatique : les Français avec leurs dévaluations successives en connaissent quelque chose).

Je la cite : l'équivalent pour une unité politique serait de résister à la tentation de s'engager dans des transactions de déclin en ne cherchant pas à maintenir la cohésion. La discontinuité radicale serait donc la division d'une souveraineté unique en une famille de souverainetés plus petites, non pas après que les échanges aient atteint un stade de dégradation et de désintégration, mais bien avant quand l'activité se développe encore raisonnablement bien. Dans une société nationale qui se comporterait ainsi, la multiplication des souverainetés par division serait l'accompagnement normal et non traumatisant du développement économique lui-même et de la complexité croissante de la vie économique et sociale.

Et même si Madrid et Barcelone (sans parler de Vitoria-Gasteiz ou de Saint-Jacques-de-Compostelle) arrivaient à se mettre d'accord - on peut toujours rêver - pour appliquer ces idées, je ne pas certain que l'euro soit la bonne carte à jouer ensuite. A moins bien sûr que la Catalogne utilise le projet de monnaie locale barcelonais, contre l'avis de la banque centrale madrilène bien sûr.

Vos commentaires et/ou trackbacks

Le vendredi 10 novembre 2017 à 09:41, commentaire par Jepfr :: site :: #

@perrick Intéressant merci, ça donne envie de le lire. Mais un monde de villes où subsistent des entreprises multinationales ne marcherait pas. Elles devraient être démantelées en même temps que les États.

Via Mamot

Le vendredi 10 novembre 2017 à 10:04, commentaire par perrick :: #

@Jepfr On a des multinationales depuis Venise au XVe siècle (pour ses échanges avec l'empire ottoman) : pas certain que ce soit le critère premier.

Ainsi une multinationale aura besoin de quitter l'hyper-centre d'une ville pour s'installer sur un territoire plus vaste (et moins cher) et assouvir son besoin de croissance.

Récemment Amazon tente de faire le contraire à Seattle : je pense que la cité émeraude pourrait succomber à terme avec la firme de Bezos.

https://www.monde-diplomatique.fr/2017/11/BREVILLE/58080

En effet la demi-vie d'une multinationale cotée en bourse est d'une dizaine d'années seulement.

http://rsif.royalsocietypublishing.org/content/12/106/20150120

L'exemple de Eastman Kodak Company et de son siège à Rochester est éclairant : après les chocs industriels des années 1970 et la disparition définitive de sa firme phare en 2012, la ville se remet doucement...

https://www.strongtowns.org/journal/2017/8/11/turning-renewal-into-renaissance-the-transformation-of-downtown-rochester

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