Développeurs Open Source : une identité numérique à construire

samedi 3 octobre 2009 :: perrick :: Projets Open Source :: 2 commentaires :: aucun trackback

Eric Delcroix m'avait demandé de participer au livre blanc des gourous du grand nord sur l'Identité Numérique. Vous trouverez donc mon article ci-dessous et dans le PDF téléchargeable. Merci au passage à Gérald et Laurent qui ont accepté de relire ces quelques lignes.

Pour l'instant mon papier n'apparaît pas dans la table des matières, et mon nom est mal orthographié. Ce serait peut-être trop demander ;-) Reste à vos plonger dans ces contributions diverses et variées !

Parmi les informaticiens, rares sont ceux qui se sont fait un nom aux yeux du grand public – a fortiori si on exclut les chefs d'entreprise tels Bill Gates ou Steve Jobs. Et pourtant parmi ces exceptions, on pense bien sûr à Linus Torvald, créateur du noyau Linux. Il marque un changement radical : avec lui, l'entreprise a cédé le pas à la personne en tant que face visible d'un logiciel.

Deux frameworks français illustrent à merveille cette transformation. Copix naît sous les mains de Gérald Croès au sein de la société Aston vers 2003. Très vite mis sous licence Open Source, il devient l'outil de référence pour l'ensemble des développements de la société Aston (devenu SQLI par rachat). Parmi les contributeurs les plus actifs, on y trouve un autre salarié de la même société: Laurent Jouanneau. Ce dernier décide de quitter Aston / SQLI mais continue néanmoins ses contributions à Copix. Suite à des divergences de choix architecturaux, il décide en 2007 de forker le projet initial et d'en poursuivre le développement sous un autre nom : ainsi apparaît Jelix. En 2007, c'est au tour de Gérald Croès de quitter la société SQLI : embauché par Alptis qui utilise déjà son framework Copix, il poursuit le projet et y ajoute en priorité les fonctionnalités nécessaires à son nouvel employeur.

Ce sont bien les individus qui sont mis en avant dans les communautés Open Source. Sous pseudonyme ou en nom propre, l'intégralité d'une production individuelle est consultable directement sur internet : réponses sur les listes de diffusion, commits dans le gestionnaire de code source, participations à des forums, conférences en podcast, billets sur un blog, etc. Chaque contribution personnelle témoigne de compétences et de savoir-faire qui oscillent systématiquement entre la sphère professionnelle et l'univers personnel. Ainsi la production Open Source d'un étudiant, qu'elle soit d'une semaine ou d'une année, peut devenir une marque saillante dans un CV en déficit d'expérience professionnelle. Et inversement, le fruit du travail salarié retransmis à la communauté du libre permet de compléter la rétribution pécuniaire de son auteur : reconnaissance communautaire, marque d'appartenance ou remerciements du bout du monde.

Chaque communauté promeut des éléments tangibles qui permettent aux développeurs de prouver cette identité. Dans le monde PHP, on parle de karma : il s'agit tout simplement du droit en écriture accordé sur le dépôt CVS (l'outil qui gère le code source centralisé). Une adresse email – de type name@php.net – en témoigne.

Si les développeurs, ceux qui écrivent du code, ont été naturellement les premiers à bénéficier de cette construction d'une identité numérique, l'importance croissante du Logiciel Libre diversifie les types de profil qui peuvent y prétendre. Lukas Smith est d'abord un développeur PHP : pendant plusieurs années, il participe au développement de PEAR – une bibliothèque de librairies en PHP – puis il met un wiki à la disposition des contributeurs du moteur de PHP (écrit en C) pour essayer de rendre son processus d'évolution plus transparent. Quelques années plus tard, il devient le Release Master de PHP 5.3 : il s'agit de la responsabilité la plus importante au sein de cette communauté. Il peut trancher au sujet des fonctionnalités à inclure ou des dates de mise à disponibilité. Il faut connaître l'ampleur du parc installé de PHP (plus de 20 millions de domaines sur toute la planète) pour avoir une petite idée de sa responsabilité, alors même qu'il n'est pas capable d'écrire une seule ligne de ce logiciel. Dans les communautés avec un produit grand public, les horizons sont encore plus vastes : Tristan Nitot est d'abord évangélisateur, ancien salarié de Netscape, il monte une association pour continuer à défendre le navigateur Firefox et l'ensemble des logiciels de la suite Mozilla. Avant d'en devenir salarié, il est déjà le visage de Firefox et de Mozilla en Europe. Ses anciens collègues iront jusqu'à la création d'un Nitotracker pour suivre ses apparitions dans la presse ou dans la sphère publique.

Bien sûr, ces deux exemples sont à la fois emblématiques et anecdotiques. L'un et l'autre ont dépassé les frontières naturelles de leur communauté d'origine et touchent de nombreux publics. L'un et l'autre ne représentent plus la majeure partie des contributeurs au mouvement Open Source. A l'intérieur de chaque communauté, une multitude de casquettes coexistent. Sourceforge.net propose ainsi une liste digne d'un Prévert : Developper, Project Manager, Unix Admin, Doc Writer, Tester, Support Manager, Graphic / Other Designer, DBA, Editorial / Content Writer, Packager, Analysis / Design, Advisor / Mentor / Consultant, Distributor / Promoter, Content Management, All Hands Person, Translator, UI Designer, etc. Autant de responsabilités nécessaires à la vie de la communauté et de son logiciel. Autant de facettes possibles de l'identité du contributeur, autant d'aspects qui viennent se compléter au fur et à mesure de l'engagement dans un projet.

Participer à un logiciel Open Source, c'est aussi l'occasion de s'investir sur une longue durée. C'est après 17 années que Richard Stallman – figure de proue de la Free Software Fondation – a cédé la place de leader au sein du projet Emacs. Cette dimension temporelle permet au développeur de s'épanouir dans sa pratique et de s'affranchir de la contrainte économique. Cette forme de fidélité s'enracine dans les liens tissés au sein de la communauté : on y évoque souvent la solidarité, l'estime des autres, la reconnaissance du travail accompli et surtout la promotion au mérite.

OpenOffice.org, suite bureautique et logiciel phare du libre, semble être menacé du problème miroir: la gestion de projet est désormais entre les mains d'une société anonyme. Fruit du rachat de StarDivision, société allemande, par Sun, puis de Sun par Oracle, deux géants américains de l'informatique, ce logiciel voit désormais son nombre de contributeurs diminuer d'années en années tandis que son utilisation explose. C'est la situation paradoxale de ce logiciel désincarné : les contributeurs sont des salariés de Novell, IBM ou Sun / Oracle qui pourraient tout aussi bien travailler sur d'autres projets et se plaignent du manque de transparence dans les choix de développement. Même effet autour de MySQL : l'éditeur suédois de base de données passe lui aussi par l'escarcelle de Sun, puis celle d'Oracle (le grand concurrent des débuts). Sauf que cette fois, l'incarnation personnelle du logiciel est toujours vivace. Elle est même double : grâce au code ouvert, deux des développeurs originels poursuivent la vision initiale et le travail commencé à Uppsala. Brian Aker s'est lancé dans un moteur spécifique aux contraintes de web – Drizzle – une forme de retour aux sources pour la base de données longtemps louée pour sa rapidité et son efficacité. D'un autre côté Michael Monty Widenius poursuit le développement vers toujours plus de fonctionnalités : le moteur s'appelle désormais MariaDB, la société Monty AB.

Il n'est d'ailleurs pas rare de découvrir à quel point la personnalité du créateur d'un logiciel libre déteint sur les valeurs du projet. Quand Guido Van Rossum, chercheur au Centrum voor Wiskunde en Informatica d'Amsterdam, décide de créer un nouveau langage informatique, il souhaite qu'il soit le plus pur possible : ce sera Python. Plusieurs années plus tard, c'est cette même recherche d'une forme de pureté et d'élégance, qui anime sa ré-écriture avec la version Python3K. D'autre part, l'émergence du langage PHP est tout à fait différente : Rasmus Lerdorf cherchait des outils pratiques pour répondre aux problématiques récurrentes de ses sites et met à disposition en 1995 ses tools for Personal Home Pages. En tant qu'ingénieur système, il n'a jamais cherché une cohérence interne ou un formalisme académique. PHP existe pour résoudre le problème du web et certainement pas pour gagner un concours d'élégance! Reste que l'un et l'autre ont rejoint les mastodontes du web : Google pour le néerlandais et Yahoo! pour le dano-canadien. Pour ces sociétés incontournables sur la toile, un premier choix technologique avait été fait : par la suite, le recrutement du créateur de la brique fondatrice de leurs systèmes respectifs était devenu naturel.

Et pendant que Laurent Jouanneau montre sur son blog le cadeau de naissance reçu par l'équipe de bénévoles qui l'entourent au sein du projet Jelix, Gérald Croes parle avec émotion des amis que sont devenus les contributeurs Copix au fil des ans et des commits : Si l'équipe Copix actuelle s'est construite autours de la passion du projet, l'envie de créer et d'innover, notre vision du groupe implémente aujourd'hui l'amitié et de nombreux loisirs communs. Ces moments de détente sont d'ailleurs souvent nécessaires pour régler "sur le terrain" nos différents sur les choix techniques réalisés autours du SVN.

Vos commentaires et/ou trackbacks

Le samedi 3 octobre 2009 à 18:10, commentaire par foxmask :: site :: #

Bonjour,

joli article !

je dirai que de toutes les qualités requises pour participer et faire grandir un projet c'est l'humilité.

J'ai croisé des "égos" qui ont desservi leur propre identité numérique.

Donc être Humble avant tout ;) le reste coule de source.

cdt.

Le dimanche 4 octobre 2009 à 21:37, commentaire par delcroix :: site :: #

Encore désolé Perrick, mais tout est rentré dans l'ordre samedi soir... enfin j'espère :-))
Tu es dans la table des matière et ton nom a été corrigé ;-)

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