Requalification urbaine du centre-bourg : le pari à 2,7 millions des élus lambersartois

mercredi 9 mai 2018 :: perrick :: Espace urbain :: aucun commentaire :: aucun trackback

La mairie de Lambersart - avec le soutien de la Métropole Européenne de Lille - va investir 2,7 millions d’euros pour requalifier son Bourg (c’est à dire ce qu’il reste de centre-ville dans cette commune de la banlieue lilloise). En février 2017, « l’idée est celle d’un mail piétonnier entre l’avenue du Parc et l’avenue de l’Hippodrome, incluant le pourtour de l’église, en préservant une place pour les voitures et les transports en commun. »

Il eut été tout aussi exact de dire entre « un des axes structurants qui relie Lille à la rocade Nord-Ouest » qui draine plus de 20000 véhicules par jour et qui mène à un premier supermarché et « un autre axe qui mène directement au quartier HLM construit dans les années 60 et 70 » desservi lui aussi par un autre supermarché. Le reste du périmètre est cerné au nord par une voie ferrée (sans gare) et au sud par une zone résidentielle avec autant de verdure que d’impasses. Heureusement le collège et l’église garantissent un passage régulier de piétons et même sans magasin de bouche (aucune trace de boulangerie, la boucherie a fermé l’année dernière), les banques et les agences immobilières tiennent le terrain. Il n’en reste pas moins que plusieurs cellules sont à vendre depuis longtemps.

Le Bourg : le trottoir commerçant

Le Bourg : la placette derrière l'église

Le Bourg : quelques boutiques

Le Bourg : quelques boutiques (bis)

Le Bourg : l'ancien bistrot et une banque

Le Bourg : une banque et une agence immobilière

Le Bourg : un local à vendre

Le Bourg : le parking devant l'église

Le Bourg : l'église et son parking (bis)

Bien sûr la mairie écoute ceux qui demandent de la vidéo-protection (alors que les commerçants sont bien évidemment les premiers « yeux de la rue ») et tente de rassurer les autres en arguant que « les arbres seront préservés le plus longtemps possible ».

Moins d’un kilomètre plus loin, entre les quartiers « Canon d’or » et « Champs de courses » se sont installés en moins de 18 mois : une couturière de robes de mariée, une architecte, une sophrologue, une psychologue, un cabinet d’urbanisme, un centre d’esthétique et de nutrition. Ils se sont ajoutés à tous les commerçants installés sous un HLM (boulanger, boucher-traiteur, caviste, fleuriste, pharmacienne, esthéticienne) et les autres qui avaient transformé une habitation, un garage ou un jardin (agence immobilière, artisan plombier, médecin).

Le Canon d'or : les boutiques sous le HLM

Le Canon d'or : une épicerie en vrac en camion, le vendredi soir

Le Canon d'or : la couturière de robes de mariée

Le Canon d'or : une ancienne maison convertie en bureaux partagés

Le Canon d'or : le centre d'esthétique et du nutrition

Le Canon d'or : le garage du plombier

Le Canon d'or : le jardin transformé pour accueillir 3 médecins

Le Canon d'or : une maison utilisée pour une esthéticienne

Rendez-vous dans 5 ans pour vérifier s’il vaut mieux les centaines de milliers d’euros de la mairie accompagnés des millions de la MEL et un « terre-plein central avec stationnement à l’intérieur » (comme s’il n’y avait pas déjà deux parkings à moins de 100m) ou un quartier avec peu de coupures urbaines pour « développer l’attractivité de la ville » et suffisamment de densité pour soutenir des rez-de-chaussées vivants. Mais qu'on ne me fasse pas croire que supprimer les arbres pour piétons le long de l'église pour en mettre d'autres pour les voitures garées au niveau de l'îlot central soit compatible avec une politique responsable pour le XXIe siècle : d'autres chantiers ont besoin de l'argent public.

Huit bouquins lus, la dix-neuvième vague

jeudi 19 avril 2018 :: perrick :: Livres :: aucun commentaire :: aucun trackback
  1. How to take smart notes de Sönke Ahrens
    Découvert lors de l’Agile Open France Hiver 2018 grâce à Arnaud Lemaire, aka Lilobase lors d’une session sur le Zettelkasten, ce petit livre fait une explicitation très convaincante de l’outillage mis au point par le chercheur allemand Niklas Luhmann : classer des fiches dans des boîtes. Et comme l’explication prend une douzaine de pages en tout et pour tout, Sönke Ahrens en profite pour faire un tour circonstancié des apports de la recherche sur la question de l’écriture d’essais ou d’articles académiques. J’en garde l’expression « inter-locking / auto-verrouillage » : cette caractéristique qui associe à la simplicité permet à des systèmes d’exprimer toute leur puissance, à commencer par eXtreme Programming. Avec ses 3 boucles de rétroaction, la méthodologie de Kent Beck présente ces deux propriétés. Malheureusement le succès marketing de Scrum aura tout balayé sur son passage (mais ça, c’est une autre histoire). J’en garde aussi des cahiers (que j’ai utilisé à la place des fiches en papier) sur lesquels j’ai repris le goût d’écrire au stylo-plume ! livres.onpk.net
  2. La vie secrète des arbres de Peter Wohlleben
    Les arbres communiquent entre eux depuis la nuit des temps grâce au mycélium : grâce à ce réseau, ils s’entre-aideraient entre arbres d’une même famille, partageraient des nutriments et même transmettraient leurs émotions, comme la peur. Visiblement notre belle Académie de l’Agriculture n’est pas tout à fait sur la même longueur d’onde, elle qui écrit que le livre « prête malheureusement le flanc à la critique : sources absentes ou non vérifiables, extrapolations non justifiées, interprétations abusives et même erreurs manifestes ». Reste donc l’ode passionnée et délicate d’un sylviculteur repenti : comme beaucoup de lecteurs, je me suis régalé avec ses histoires de chênes, de hêtres et de leurs batailles presqu’immobiles (un demi-millénaire tient dans ce presque) pour une place au soleil. livres.onpk.net
  3. La famille Souris prépare le nouvel an de Iwamura Kazuo
    Plus que ce livre en particulier, c’est tout l’univers de Iwamura Kazuo que je voulais présenter. Ses dessins sont magnifiques : insectes, plantes, arbres et personnages partagent un trait d’une jolie finesse, d’une grande précision naturaliste et d’une profonde humanité. Bien sûr le lecteur d’Emmanuel Todd que je suis décèle une famille-souche dans cette série des Souris, mais ils restent tellement craquants à faire une baignade au lac, à installer l’eau courante pour leur nouvelle maison ou à préparer des gâteaux pour la nouvelle année. livres.onpk.net
  4. Déclin et survie des grandes villes américaines de Jane Jacobs
    Après avoir longtemps tenu à distance le « grand œuvre » de Jane Jacobs, peut-être par délectation spéculative, probablement par peur d’être déçu après avoir dévoré ses livres ultérieurs, j’ai acheté puis croqué les 500 et quelques pages de son « Death and Life » (comme le surnomme ses commentateurs). Les attributs d’une ville y sont passés au scalpel : les trottoirs (scène du fameux « ballet » urbain), la sécurité (fruit des yeux de tous les habitants et passants), les parcs et jardins (pas toujours si bénéfiques), la taille des pâtés de maisons (trop grande, elle peut tuer la vie de quartier), etc. Ses observations datent de 1961 et restent d’une très grande actualité et d’une grande pertinence. Ainsi son expression de « capital social » aura une très large portée académique. Idem pour son cadre théorique qui trouvera dans des recherches sur Rome, Naples, Florence, Bologne, Milan et Palerme une confirmation posthume. Au passage, elle égratigne Le Corbusier : le plan Voisin - avec sa volonté d’amener la voiture au coeur de Paris - était le parfait opposé de sa pensée et apparaît désormais complètement anachronique. Je comprends mieux qu’elle ait laissé une marque si profonde auprès de nombreux urbanistes. Et qu’elle continue à servir de trame à mes différentes balades urbaines à Léchiagat, Valenciennes, Lyon et ailleurs. livres.onpk.net
  5. Où en sommes-nous ? d’Emmanuel Todd
    Une histoire humaine ou du moins une « esquisse », c’est à cette gageure qu’Emmanuel Todd nous convie. La France en est absente : elle est coincée entre l’Allemagne et sa périphérie autrichienne, suédoise ou tchèque (ainsi que le Japon et la Corée) composée de familles de type souche d’une part et le monde anglo-américain « nucléaire » d’autre part. Aux premiers, une économie triomphante sur la longue durée; aux derniers, l’innovation, l’inégalité, la démocratie avec ce mélange parfois déroutant de sac et de ressac (cf. le Brexit ou Trump). Mais si, comme l’historien nous y invite, on peut mesurer la bonne santé d’une nation à son taux de natalité, certaines échelles s’inversent : la Chine, le Japon et l’Allemagne ne seront peut-être pas les lumières que nous attendons pour le XXIe siècle. Sachant qu’on peut aussi éliminer d’autres phares potentiels avec un taux de mortalité en hausse. Je vous laisse découvrir en outre ses explications sur le renouveau de l’efficacité russe, le (faible) niveau d’éducation supérieur allemand, la contradiction profonde entre les aspirations égalitaires françaises et la machine à fabrique de l’inégalité qu’est devenu Academia. L’Histoire nous jouera encore bien des tours avec ces pièces ! livres.onpk.net
  6. WTF? What’s the future and why it’s up to us de Tim O’Reilly
    Comme de nombreux développeurs de ma génération (et probablement plusieurs autres), j’ai construit ma carrière de professionnel des internets sur des livres O’Reilly. Je garde ainsi un excellent souvenir de Programming Collective Intelligence. Et son radar continue à me servir de boussole dans ma veille technique numérique (avec toujours cette pointe de fierté ou d’orgueil quand j’y retrouve un article lu la veille dans mon agrégateur de flux). Open Source, web2.0, gov.tech, autant de concepts qu’il a identifiés, forgés et popularisés : il était temps de découvrir ses « lunettes » à travers un livre. « Le futur est déjà là. Simplement, il n'est pas réparti de manière uniforme. » écrivait Robert Metcalfe, Tim O’Reilly nous aide à le déceler. Ainsi son « homme augmenté » a du potentiel prospectiviste : Toyota, avec ses zones pour humains et sa volonté de limiter les robots (pour forcer l’apprentissage), et Tesla, avec son « usine du futur » (bientôt) entièrement robotisée qui a tant de mal à tenir la sécurité, la cadence et la qualité exigées par son créateur, peuvent même servir de balises. livres.onpk.net
  7. The New Geography of Jobs de Enrico Moretti
    San Francisco est largement reconnue en tant que capitale du logiciel et de l’internet : elle partage avec Seattle une position enviable sur l’échiquier technologique mondiale. Et si l’histoire de la première est assez connue (de Frederick Terman à Paul Graham), l’autre ne tient qu’à la décision presque fortuite d’une petite entreprise de logiciels d’y installer son siège sociale en quittant Albuquerque - Nouveau Mexique : il s’agissait de Microsoft ! La borne était posée, Jeff Bezos pouvait s’y appuyer. Enrico Moretti, professeur d’économie à Berkley, s’attache à analyser cette nouvelle répartition géographique de la croissance au XXIe siècle. Et bien loin de reposer sur la géographie physique comme par le passé (port naturel, plaine fertile, minerai abondant ou fleuve docile), le développement territorial s’explique désormais par la géographie humaine. Sans jamais oublier Dame Chance, elle qui tient une place tellement significative : l’enclenchement du cercle vertueux de l’innovation créatrice puis du développement local passe souvent par ses auspices. Ensuite les miracles du « new work » (que Jane Jacobs avait déjà identifiés) prennent le relais c’est bien autour d’un petit périmètre que les effets systémiques du « débordement économique » se font sentir. livres.onpk.net
  8. L’argent, mode d’emploi de Paul Jorion
    En 2008, la banque IndyMac doit faire face à une panique bancaire : le jeudi 10 juillet, ses clients commencent à faire la queue pour retirer leur argent; le vendredi 11, les policiers encadrent la foule plus nombreuse; le lundi 14, la banque réouvre, elle a été nationalisée pendant le week-end. Quelques années plus tôt, Paul Jorion y a travaillé dans un service lié aux désormais fameux « subprimes ». De ces années de banquier de l’intérieur, l’anthropologue de formation distille un essai pédagogique : différence entre argent et reconnaissance de dette, entre crédit à la consommation, au logement et à la production, entre banque commerciale et centrale, autant d’éclaircissements - parmi d’autres - qui permettent de mieux comprendre in fine comment la finance a pris le contrôle. Au passage, il décortique le paradoxe qui veut que la banque soit le secteur le moins rentable et qu’en même temps ses profits aient retrouvés leur niveau des années 1930. Un indice ? Toujours plus de concentration, pour s’offrir toujours plus de poids dans la fixation de la rente. livres.onpk.net

Le système familial selon Emmanuel Todd : un modèle pour décrypter le monde

dimanche 8 avril 2018 :: perrick :: Connexe(s) :: aucun commentaire :: aucun trackback

Il y a des modèles qui ont peu à peu trouvé un chemin dans mon cerveau : le système familial d'Emmanuel Todd fait partie de ceux-là.

Pour comprendre l’attachement populaire à la SNCF et la cagnotte de soutien aux cheminots, il pourrait être suffisant d’avoir en tête les valeurs universalistes et égalitaires des familles nucléaires égalitaires, telles qu’on les trouve dans le bassin parisien. En franchissant le pas suivant (Paris, c'est la France), on découvre que les Français défendent "leur" SNCF, celle qui promet des trains relativement bon marché, si possible ponctuels et surtout équitablement répartis sur tout le territoire, celle qui a été nationalisée une première fois en 1937 au crépuscule du Front Populaire en sauvant de la faillite des acteurs privés, celle qui offre à ses propres employés et à ceux de la France - les députés - des billets gratuits. J’imagine sans peine les Allemands ou les Suédois (de familles souche l’un comme l’autre) n’y rien comprendre. Idem pour nos élites teintées d’atlantisme (et leurs familles nucléaires absolues, indifférentes à l’égalité).

Le dernier ouvrage d’Emmanuel Todd - Où en sommes-nous ? - reprend toutes les déclinaisons de son système pour embrasser en moins de 500 pages une histoire du monde. Plutôt que de décrire ici toute sa typologie et d’en paraphraser maladroitement tous les fruits, voici un petit florilège puisé indirectement dans mes lectures récentes.

Que la famille Souris prépare le nouvel an ou qu'elle cherche une nouvelle maison, elle comprend trois générations : grand-père et grand-mère, papa et maman, une ribambelle de frères et soeurs. C'est bien une famille souche qui nait sous le trait magnifique de Kazuo Iwamura. Je ne suis pas certain que les japonais puissent imaginer le Petit Chaperon Rouge traversant une terrible forêt afin de retrouver sa mère-grand : mettre une telle distance entre parents et grands-parents doit être inconcevable.

Dans Si la Chine était un village, Hong Liang nous parle du sien : Liangzhuang. Depuis plus de 300 ans, trois clans y sont installés : les Han, les Liang et les Wang. Les premiers « ont de la culture, de l'éducation, les grandes familles de ce clan ont toutes donné naissance à des gens très compétents. Les propriétaires fonciers, les despotes locaux, les paysans riches éliminés lors de la réforme agraire appartenaient tous au clan Han. Les Liang ne sont pas aussi cultivés, parfois malins ou naïfs. Les Wang sont tous des bons à rien, des bouches inutiles. » Au fil des anecdotes mettant aux prises les uns et les autres avec la modernité teintée de corruption qu’impose le Parti, on sent poindre tous les tiraillements de ces familles communautaires exogames ayant comme valeurs cardinales l'autorité (du père) et l'égalité (des fils).

Pete Saunders, un américain, s'est lancé dans une Big Theory de l'urbanisme des Etats-Unis. Calquée sur les travaux de William Strauss et Neil Howe dans The Fourth Turning, il identifie pour chaque génération (une vingtaine d'année) un type urbanistique différent et singulier. Par exemple, pour les années 1900-1920, ce sera la grille rigide s’accordant au tramway. Ou pour les années 1990-2010, la McMansion : cette grosse et grande demeure si caricaturalement uber-architecturale, véritable SUV sans roues. Par cette tentative théorique, il offre un échantillon des conséquences des familles nucléaires pures si caractéristique des USA. Ils se permettent la création de nouvelles cités à chaque génération, toujours dans un entrain naïf, déterminé et volontaire, en appliquant tout aussi facilement le véritable corollaire : l'abandon pur et simple de certaines villes.

Quand Lyon devient mon Gemba

samedi 31 mars 2018 :: perrick :: Espace urbain :: aucun commentaire :: aucun trackback

Mardi et mercredi dernier, c'était le Lean Summit à Lyon (les 27 et 28 mars 2018 donc). Le temps de prendre une piqûre de rappel, d'écouter les pionniers passer la main, de croiser de vieilles connaissances, d'en rencontrer de nouvelles et d'être enthousiasmé par certaines initiatives hospitalières ou industrielles. Et aussi de faire un petit tour dans un terrain urbain nouveau pour moi, Lyon : une visite Gemba si on veut utiliser la terminologie Lean.

En sortant de la Cité Internationale, le bain "japonais" continue avec les petites fleurs roses d'un prunus. Pas si loin de leurs cerisiers.

Prunus, parc de la Tête d'Or, Lyon, 2018

Prunus, parc de la Tête d'Or, Lyon, 2018

Je ne suis pas le seul à trouver ça poétique : les appareils photos sont de sortie, malgré le temps couvert. Un peu plus loin, je découvre quelques particularités du parc de la Tête d'Or : de très belles serres, de très larges routes goudronnées et des trottoirs terreux - sans macadam - que les piétons laissent bien volontiers aux coureurs à pied.

Serres botantiques, parc de la Tête d'Or, Lyon, 2018

Chemins, parc de la Tête d'Or, Lyon, 2018

Chemins, parc de la Tête d'Or, Lyon, 2018

La relation au bitume des lyonnais est tout autant paradoxale dans la ville. D'un côté, des 3 ou 4 voies à sens unique (cours Vitton par exemple) : le genre d'artère qui invite des traversées en voiture à plein régime et qui aurait fait bondir Jane Jacobs.

Cours Vitton, Lyon, 2018

Cours Vitton, Lyon, 2018

Grand axe, Lyon, 2018

Et de l'autre, des travaux pour faire la place belle aux bus, cyclistes et autres transports en douceur.

Rue apaisée, Lyon, 2018

Rue apaisée, Lyon, 2018

Je sens que la transition ne va pas être simple ! Surtout avec des grossistes qui tiennent encore les quartiers du bord de Rhône en plein coeur de la ville.

Grossiste, rue Molière, Lyon, 2018

Big data et opération de déstabilisation : le monde académique en est au cœur

lundi 19 mars 2018 :: perrick :: Connexe(s) :: aucun commentaire :: aucun trackback

En décembre 2017, Jeff Nesbit - un ancien directeur des affaires publiques et légales de la National Science Foundation - décryptait les vecteurs des financements qui avait permis des travaux de recherche sur l'exploration algorithmique de tous les contenus du web puis l'éclosion de Google : des entités plutôt reliés à la "communauté du renseignement" (CIA et NSA donc) via leur Massive Digital Data Systems (MDDS) project.

Ce week-end, The Guardian mettait au jour l'immense collecte de données effectuée via des profils Facebook qui, de fil en aiguille, permettra aux techniques de déstabilisation politique des succès éclatants avec le Brexit puis Trump. Là encore le point focal se trouve dans les murs feutrés d'une université, celle de Cambridge en l'occurence, où le chercheur Aleksandr Kogan utilisait - entre autres - des bourses russes pour effectuer ses recherches puis commercialisa à une société privée ces données, une commercialisation interdite à la fois par les règles de Facebook et par la législation du Royaume-Uni.

Cambridge Analytica: how the key players are linked - The Guardian

Qu'un des maillons faibles de nos sociétés démocratiques se trouve dans le monde académique avait déjà été pointé par Jane Jacobs dans son opus Dark Age Ahead : the combination of the appearance of professional respect for science rigor coupled with professional contempt for scientifically rigorous behaviour is toxic. Une remarque sur la décadence de l'Université qu'avait aussi noté Nicolas Kayser-Bril et que traque Olivier Ertzscheid au quotidien. Avec facteur H, financements au lance-pierre par "projet", fusion & autonomie, baisses de dotations, classement de Shangai et autres joyeusetés, bien malin qui trouvera la porte de sortie par le haut...

Le bilan d'appétance, une recette officieuse

lundi 12 février 2018 :: perrick :: Connexe(s) :: aucun commentaire :: aucun trackback

En attendant que Stéphane Bagnier daigne enfin mettre en ligne l'explication officielle de son bilan d'appétance, je vous propose ma propre retranscription. Bien sûr, si vous utilisiez ces quelques notes pour monter un atelier avec amis ou collègues et que cet atelier s'avérait un échec cuisant, ce serait entièrement de ma faute et en aucune manière celle du créateur original.

Mon bilan d'appétance en janvier 2017

En premier lieu il s'agit de poser un contexte favorable : vous aurez sous la main une grande feuille, des stylos ou feutres de plusieurs couleurs, des gommettes (en option), une table et une chaise, une vue agréable et calme ainsi qu'une heure de temps libéré du téléphone portable, des enfants ou du patron (c'est selon) et des autres distractions de la vie moderne.

Premier exercice / 15 minutes : prenez le temps d'écrire, de dessiner, d'exprimer de manière créative vos fiertés petites et grandes. C'est l'occasion de se fixer au présent avec sa propre histoire, de se rapprocher doucement des belles choses que vous avez réalisés et qui seront autant de cailloux blancs pour la suite.

Mon bilan d'appétance en janvier 2017 - exercice n°1

Deuxième exercice / 10 minutes : tracez trois cercles qui s'entre-croisent. Vous y noterez dans le premier les activités que vous aimez, dans le deuxième celles qui vous sont faciles et dans le troisième celles qui sont rémunératrices. Bien entendu les différentes intersections vous permettront de calibrer au mieux telle ou telle pratique en la répartissant au plus juste.

Mon bilan d'appétance en janvier 2017 - exercice n°2

Troisième exercice / 15 minutes : esquissez un grand tableau avec 3 lignes et 3 colonnes. Les neuf cases seront remplies par autant de "vies dans 10 ans". Sous la bannière Ethos, la première ligne rassemblera des vies tout à fait légitimes : celles où il suffit d'appuyer de plus en plus fort sur des tendances déjà à l'oeuvre en ce moment même. Sous le drapeau Logos, les trois vies suivantes auront fait preuve d'intelligence, de ruse et d'astuce pour déblayer des terrains moins évidents. Enfin avec Pathos comme étendard, les trois vies finales seront guidées par un altruisme sans faille, quand seul le coeur aura dicté sa loi.

Quatrième exercice / 10 minutes : distribuez des prix à chacune de ces vies possibles. Il faut octroyer : quotidien / défi / accessible / autonomie / juste / social / apprentissage / créativité / congruent. Et bien sûr il y a aussi deux cartons rouges possibles qui commandent l'éviction de certains possibles : inadapté / inatteignable. Les gommettes permettront de valoriser cette cérémonie officielle qui marque la clôture de l'atelier.

Mon bilan d'appétance en janvier 2017 - exercices n°3 et 4

Vient ensuite le moment de la rétrospection et de la rétrospective. Voici quelques questions pour ouvrir les échanges avec soi-même ou avec les autres participants...

Mon bilan d'appétance en janvier 2017 - le résultat complet

Notes urbaines et ouvertes à Valenciennes

mercredi 7 février 2018 :: perrick :: Espace urbain :: aucun commentaire :: aucun trackback

M. Le Président de la CCI de Valenciennes,

Nous avons eu le plaisir d’échanger sur les villes, celle de Valenciennes que vous souhaitez promouvoir, celles de Lille ou de Lambersart que je pratique tous les jours et toutes celles que nous croisons au gré de nos déplacements et de nos lectures respectifs. Ce rapide billet est juste l’occasion de formaliser quelques fruits de cet échange.

Jane Jacobs

Commençons par Jane Jacobs bien sûr ! Ses ouvrages « Life and Death of Great American Cities » ou « The economy of cities » ont largement aiguisé ma propre lecture des dynamiques urbaines. Elle montre que 4 marqueurs sont nécessaires à la bonne santé d’un centre-ville : 1/ un mixité de fonctions primaires (commerce, logement, travail, loisirs, etc.), 2/ des quartiers perméables (avec des rues qui se croisent à petits intervalles), 3/ des bâtiments de tout âge et 4/ une densité suffisante. Des chercheurs de Trento (en Italie) ont essayé de vérifier si son intuition était bonne : en s’appuyant sur les données des téléphones portables, ils sont arrivés à l’affirmative. Niveau recherche universitaire en France, les choses bougent aussi : le phénomène de la décroissance urbaine a désormais son ANR. Et c’est le groupe Altergrowth qui tente d’y voir plus clair.

Lot habitations en tour / commerces en rez-de-chaussée à Vancouver

La ville de Vancouver (au Canada) aussi s’est donnée l’objectif d’accueillir des familles dans son centre-ville. Elle a commencé il y a plusieurs dizaines d’années et sur son chemin, elle a même créé sa forme urbaine spécifique : une tour entourée de maisons particulières et d’unités commerciales. Les résultats sont probants : plus de 7000 enfants habitent désormais le coeur de la ville. Et la ville se retrouve désormais avec des riches asiatiques ont décidé d’y parquer leur argent, un nouveau type de problème à résoudre. Sur la zone d’Euratechnologies (une zone de bureaux), mes salariés disent la même chose : pour eux, tout commence par des crèches.

Valenciennes / quartier Dutemple

Comment la France a tué ses villes est assez bien documenté (l’addiction à la voiture y est pour beaucoup) et ses conséquences toujours visibles. Pour y pallier les mairies peuvent essayer de préempter des fonds commerciaux ou artisanaux comme à Douai. Elles peuvent aussi tester des formules de séparation entre murs et foncier grâce au démembrement. Reste à y greffer des habitants, un quartier ou une communauté : grâce au financement participatif, des châteaux y sont arrivés récemment. Il y a même une structure juridique qui se prête bien à des croisement hybrides entre acteurs divers : les SCIC. Des exemples de commerces communautaires existent hors des « grandes villes » au Royaume-Uni comme à Grindleford ou Thorncombe ou en France à Annecy ou Chateaufort. Ces filières commencent même à se structurer… Et si on se prend à rêver un peu plus, on peut aller chercher d’autres lieux à faire vivre : piscine, ferme, centrale électrique, cinéma, etc. Il y a déjà pléthore d’initiatives sous la grande bannière des Communs.

Quartiers à cashflow positif ou négatif

Souvent les questions financières s’en tiennent aux « acteurs économiques » (entreprise, commerce, artisan) : les villes américaines - à commencer par Détroit - ont montrer au contraire que ces questions pouvaient toucher de plein fouet les « acteurs territoriaux ». Le travail d’un groupe d’économistes sur Lafayette - toujours aux Etats-Unis mais en Louisiane - permet d’éclairer ces sujets : seuls les quartiers centraux (loin d’être toujours les quartiers les plus chics) sont « dans le vert ». Y maintenir globalement l’infrastructure existante (aucune nouvelle route, aucune canalisation supplémentaire) nécessiterait $3300 d’impôts supplémentaires par maison et par an : évidemment c’est impossible. Les banlieues vont bientôt mener la ville à la banqueroute. Même avec les taxes de vente - collectés par les entreprises, y compris la grande distribution - une ville avec ses banlieues étalées ne s’y retrouve pas. Los Angeles - l’autre mégalopole de la voiture outre-Atlantique - se prépare elle aussi à des réveils difficiles. La densification se fera contrainte ou accompagnée.

Pour mailler une aire urbaine qui voudrait sortir du tout-voiture, le train et le vélo sont des alternatives complémentaires. Avec son pôle de compétitivité i-Trans et l’agence européenne qui va avec, Valenciennes est bien partie… Reste que si j’en crois les comptes-rendus de l’association Droit au vélo il reste beaucoup de chemin à faire de côté-là : même pas un entre-filet pour témoigner d’une rencontre avec une collectivité du Valenciennois dans le dernier numéro de leur journal. Après une seule année même la démarche très volontariste de la mairie de Lille a déjà atteint un palier : reste à mettre les bouchées doubles pour découvrir les bienfaits du cyclisme sur les commerces de proximité, comme Amsterdam le prouve bientôt 10 ans.

J’en reste là pour cette fois : encore merci de m’avoir donné l’occasion de transformer quelques liens en autant de notes et au plaisir de poursuivre cet échange ultérieurement.

Huit bouquins lus, la dix-huitième vague

jeudi 18 janvier 2018 :: perrick :: Livres :: aucun commentaire :: aucun trackback
  1. Le Pays de Marie Darrieussecq
    Pris au hasard dans la bibliothèque associative de mon quartier, ce livre a résonné très bizarrement. Il y est question d’une femme, française, qui retourne vivre dans sa ville natale. Elle a choisi de donner la vie à son deuxième enfant dans « sa » région. Un territoire - Le Pays donc - qui était partagée entre l’Espagne et la France et qui est devenu indépendant. La trouvaille littéraire est astucieuse et permet des évocations nostalgiques sur la « vieille langue » et des descriptions cocasses d’écrivains chargés de faire vivre la culture de ce pays neuf. Loin de cette atmosphère ouatée et féminine, les postures de principe répondent aux manifestations de force et autres discordances revêches. Si Marie Darrieussecq a soigneusement évité la question des soubresauts du changement de régime préalable à son histoire, Madrid et Barcelone ont préféré mettre les pieds dans le plat, avec fracas. livres.onpk.net
  2. Le rouge et le noir de Stendhal
    Scarlet and Black, c’est sous la forme d’une série anglaise que j’avais approché le roman de Henri Beyle (Stendhal donc) : on était en 1993, sur BBC1. Il aura fallu attendre plus de 20 ans pour que je sorte le livre de ma bibliothèque et que je lise les conquêtes du très ambitieux et du peu scrupuleux Julien Sorel entre le Doubs et Paris. Et plutôt que d’essayer d’en retraduire l’effet, je vous recopie les remarques - tellement justes - de Prosper Mérimée : un de vos crimes c'est d'avoir exposé à nu et au grand jour certaines plaies du cœur humain trop salopes pour être vues... Il y a dans le caractère de Julien des traits atroces, dont tout le monde sent la vérité mais qui font horreur. Le but de l'art n'est pas de montrer ce côté de la nature humaine. livres.onpk.net
  3. Principes des systèmes intelligents de Paul Jorion
    J’ai découvert Paul Jorion, ce banquier - anthropologue belge, via de longs articles dans Télérama et Philosophie Magazine. Son blog est arrivé dans mon lecteur RSS plus tard encore, courant 2017 avec la fin de la séquence primaires - campagne - présidentielles. Pourtant des titres comme Se débarrasser du capitalisme est une question de survie, Le dernier qui s'en va éteint la lumière ou même Penser l'économie autrement auraient largement pu (dû ?) être présents dans cette vague ou une autre antérieur. Le hasard des rencontres ont fait que c’est finalement par son livre sur l’Intelligence Artificielle que j’ai commencé. En utilisant des concepts issus de la psychanalyse freudienne, il décortique non pas les bases mathématico-logiques mais les « affects » nécessaires à un système qui passerait le test de Turing. Un essai convaincant qui sait utiliser les trésors de l’érudition médiévale et ceux de la théorie des graphes pour tenter d’éclairer le ténébreux miracle de notre système cognitif. livres.onpk.net
  4. The Lean Turnaround de Art Byrne
    Homme d’usines et d’affaires, Art Byrne attribue son succès au Lean : s’étant formé auprès des premiers consultants TPS au début de sa carrière, il présente dans cet ouvrage les « recettes » qu’il a employé dans les différentes entreprises qu’il a dirigé ou accompagné. Et même s’il s’en défend parfois, les stocks de pièces ont été pour lui un point focale très important pour ses revirements : savoir où se situe la véritable valeur d’une entreprise est un point crucial quand on fait partie d’une société de « private equity » et qu’on fonctionne par rachat avec endettement et par recapitalisation. Une lecture en phase avec le reste de la littérature Lean qu’on peut aussi compléter par ses chroniques régulières sur lean.org. livres.onpk.net
  5. Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez
    De l’action pour cent années, c’est le pari réussi du romancier équatorien nobelisé en 1982 avec l’histoire tumultueuse de la famille Buendía à Macondo. Un mélange ébouriffant de fantastique, de tragique et d’épique. livres.onpk.net
  6. À quoi bon penser à l'heure du grand collapse ? de Paul Jorion
    Cette (auto)biographie intellectuelle montre à quel point la pensée et le gagne-pain de Paul Jorion se sont croisés, entremêlés et fécondés à un tel point qu’il en est devenu inclassable : économiste par la pratique de la finance, breton par l’étude des pécheurs de l’île d’Houat, psychanalyste par une proximité avec Lacan sans jamais devenir chercheur patenté dans une université. Avec deux compères universitaires, il fait le point sur sa « boîte à outils » et sur l’espoir qu’il fonde encore sur la capacité du genre humain à se sortir de l’ornière capitaliste dans laquelle elle s’est embourbée. Lucide. livres.onpk.net
  7. L'Œuvre au noir de Marguerite Yourcenar
    Comme avec Mémoires d'Hadrien, Yourcenar me donne le sentiment de sentir la grande littérature, d’en toucher la finesse et la grâce à travers ses mots. Cette fois-ci on suit les pérégrinations de Zénon, humaniste du XVIe siècle empruntant à Giordano Bruno, Léonard de Vinci ou encore Paracelse : tentant d’offrir au monde quelques onces de savoir, d’audace et de tolérance, il butte tragiquement sur les codes obscurantistes de son siècle. La plume classique, précise et épurée de la première femme élue à l’Académie française lui donne l’étoffe d’un héros antique, tellement humain, si proche du divin. livres.onpk.net
  8. Des hommes sans femmes de Haruki Murakami
    C’est dur de passer après Marguerite Yourcenar : même si Haruki Murakami est depuis longtemps sur les tablettes de bookmakers pour le prix Nobel, ce recueil de nouvelles fait la part belle aux hommes lâchées d’une manière ou d’une autre par leurs femmes. Une prose simple et limpide enrobe ces portraits en forme d’estampe : quelques traits brossent un personnage qui pourra toujours se réfugier dans le brouillard. livres.onpk.net

Billes, cascades & aimants : des pépites en vidéo

jeudi 11 janvier 2018 :: perrick :: Hacks :: un commentaire :: aucun trackback

Pour commencer 2018, rien de tel que de faire remonter à la surface des pépites enfouies dans les entrailles de YouTube. Cette série avait commencé il y a bien longtemps avec les travaux de WoodGears.ca.

Un art que je découvrais largement partagé :

Voire détourné :

Dans une veine similaire, il y a bien sûr les fameuses machines de Goldberg :

Mais l'occasion de cette liste est arrivé par Waxy.org : the piece "Waltz of the Flowers" by Tchaikovsky, synchronized to a chain reaction marble run by hand. Le résultat est aussi fascinant que réjouissant sur la capacité de certains à faire des trucs.

Intervention prévue au Lean Tour Lille 2018 : rendez-vous en février

jeudi 21 décembre 2017 :: perrick :: Lean :: aucun commentaire :: aucun trackback

Cela faisait longtemps que je n'avais pas parlé lors d'une conférence et une fois coutume, ce ne sera pas tellement lié à PHP. Lors du prochain Lean Tour à Lille, je présenterai : Comment j’ai raté le virage du Lean en 2007, puis en 2012. Avant de m’y mettre (enfin) sérieusement en 2017. L'occasion de faire le point sur ce qu'on a fait sous le mot-clé lean chez No Parking depuis bientôt 10 ans. Le temps que cette communauté (et moi surtout) mûrisse un peu.

Lean Tour Lille 2018

Et toute la journée devrait être intéressante : je suis visiblement le seul à bosser dans le numérique. Ce sera l'occasion d'entendre parler de soudure robotisée ou manuelle MIG, MAG et TIG, d'analyse d'amiante, de filtration industrielle ou autres études et mesures sur sites industriels. De quoi se revigorer les neurones...

La dérive : moteur économique à redécouvrir

mercredi 13 décembre 2017 :: perrick :: Management :: aucun commentaire :: aucun trackback

Toujours dans Cities and the Wealth of Nation, Jane Jacobs rend compte d'un anthropologue japonais, Tadao Umesao, [qui] observe que, historiquement, les Japonais ont toujours mieux agi en dérivant avec empirisme et esprit pratique que lorsqu'ils ont tenté d'opérer par « intention résolue » et « volonté déterminée ». On est en 1973 et il s'exprime au huitième congrès "International Industrial Design" : le Japon est en puissance, il s'apprête à déferler sur les Etats-Unis. Et pourtant il a connu son fameux MITI : chargé d'encadrer l’activité économique pour l’État, il avait aussi pour mission d'inciter les groupes d'entreprises dans leurs choix. Dans les années 50, et contre l'avis de ce grand ministère, Toyota, Nissan, Mazda et Mitsubishi s'engagèrent dans une compétition tout azimut. En 1980, le Japon deviendra le premier pays producteur d'automobiles. Et l'année suivante il s'imposera une restriction volontaire des exportations de voiture pour ne pas s'attirer des foudres plus grandes encore de la part des États-Unis d'Amérique.

Jane Jacobs montre aussi à quel point les technologies avancent toujours là où on ne les attendait pas : la métallurgie par les bijoux précieux (avant les épées et les lances), le rail par le parc d'attraction (avant le transport de passagers et de marchandises), l'industrie plastique par les jeux bas de gamme pour enfants (avant la pollution systématique des océans) et le web par l'échange académique (avant de manger ce qu'il reste du monde).

Plus de 40 années plus tard, cet enseignement - cette sagesse peut-être - se retrouve à nouveau derrière le Lean Thinking (résultat de travaux de recherche sur le TPS de Toyota). D'abord le problème, d'abord le terrain, d'abord le gemba. Ainsi dans The Lean Strategy, Michael Ballé et ses compères utilisent un modèle mentale spécfique Find, Face, Frame and Form (Détecter un problème, Faire face à la situation, Indiquer les pistes d'amélioration, Façonner la situation), bien loin du plus traditionnel Define, Decide, Drive, Deal (Définir l'axe stratégique, Engager son équipe sur une voie, Piloter grâce au plan, Faire face aux conséquences). Peut-êre retrouve-t-on là une forme de la très vieille querelle entre Aristote et Platon si bien illustrée par la position des mains de deux plus grands philosophes grecs dans L'École d'Ahtènes.

Platon pointant le ciel et Aristote la terre

Elle se rapproche en tout de la quête d'une anthropologie des savoirs que Paul Jorion exprime dans A quoi bon penser à l'heure du grand collapse ? : une confrontation entre le savoir des pêcheurs et celui des scientifiques, sur les points où ils diffèrent, soulignait la remarque fondatrice d'Aristote qu'« il n'y a pas de science que de l'universel », mais mettait aussi en relief que, dans la pratique économique de celui qui cherche à nourrir sa famille par son travail, il n'y a au contraire que du particulier, à propos duquel les énoncés généraux de la science s'assimilent souvent à de simples truismes pontifiants, sans implications pratiques.

Ainsi les conférences du Lean Tour cherchent pareillement à fédérer des acteurs locaux autour de conférences et d’ateliers de partage d’expérience et de découverte du Lean management : point (ou peu) de ces énoncés généraux qu'on trouve si fréquemment dans la littérature "business" et qui sonnent vite creux mais plutôt une tranche de vie dans une entreprise qui a décidé d'aiguiser son regard sur sa propre pratique et d'utiliser la méthode scientifique sur ses problèmes de tous les jours. Le Lean n'est pas un livre de recettes tout prêtes (comme Scrum sait le faire) mais un simple cadre pour identifier des axes d'amélioration et s'offrir des ressources en vue d'un changement qu'on sait inévitable (sans pour autant savoir lequel).

Lille, une capitale qui gagne quand elle joue dans sa catégorie et qui n'obtiendra pas l'AEM

dimanche 26 novembre 2017 :: perrick :: Espace urbain :: 6 commentaires :: aucun trackback

Dans le Nord la nouvelle du mois de novembre 2017 aura été que l’Agence Européenne des Médicaments ira à Amsterdam, pendant que l’Autorité bancaire européenne fera le trajet Londres - Paris. Celle d’octobre 2017 fut l’annonce de la sélection du siège des Hauts-de-France au titre de Capitale Mondiale du Design… pour 2020.

Le projet de bâtiment pour l'AEM dans le dossier lillois

Lille aura donc joué deux fois dans une cour internationale avec un taux de succès à 50%. A la fin des années 1990 et au début 2000, Lille avait aussi joué sur deux tableaux : malgré un dossier solide porté par le CNSOF, les JO d’été échoueront finalement à Paris près de 20 ans plus tard et le titre de « Capitale européenne de la Culture » (gagné pour l’année 2004 en même temps que Gênes) aura été le lot de consolation suite à une belle campagne populaire.

La gare Lille-Flandres en rose pour Lille 2004

La MEL bénéficie d’une position géographique intéressante : avec trois capitales (et non des moindres à l’échelle européenne et mondiale) à moins de 1h30 - Bruxelles, Londres et Paris - difficile de barboter en deuxième catégorie. Des prix de l’immobilier qui font rêver certains parisiens, des grandes écoles attractives, des sièges sociaux de grands groupes et un écosystème numérique puissant (entre autres) placent quand même Lille (avec Roubaix, Tourcoing et les 87 autres communes de son agglomération) dans le peloton de têtes des métropoles françaises attractives. Reste que la ville traîne encore une réputation peu enviable et des indicateurs sociaux pas toujours au vert fixe : il y a encore du boulot localement pour être au niveau de Copenhague ou de Milan.

Mais à bien y regarder rares sont les villes qui ont réussi à l’échelle mondiale leur passage d’une catégorie à l’autre depuis 50 ans : surnagent les tigres asiatiques, Hong-Kong, Singapour, Séoul et Taipei. Elles ont bénéficié du grand rattrapage de l’Asie, de l’exemple japonais, de la formidable croissance chinoise et de leur singularité de ville-état.

La capitale de Taiwan fait d’ailleurs parti des anciennes lauréates du titre de Capitale Mondiale du Design (en 2016) : bloquée par ses démêlés géo-politiques avec la Chine continentale, elle n’aura jamais accès aux JO ou aux grandes institutions mondiales. On retrouve dans cette liste Le Cap (capitale à domaine partielle - avec Pretoria et Bloemfontein - pour l’Afrique du Sud), Helsinki (petite capitale dans un pays d’à peine 5 millions d’habitants) et Turin (une ville jumelle, elle aussi en deuxième catégorie italienne derrière Rome et Milan). Seules Mexico et Séoul sont de véritables grandes villes mondiales de ce palmarès.

On peut faire le même constat pour les Capitales européennes de la Culture : il s’agit d’un concours et d’un vitrine pour villes de deuxième rang (comme Wrocław en Pologne, Saint-Sébastien en Espagne, Aarhus au Danemark ou Paphos à Chypre). Bien sûr Esch-sur-Alzette (2ème ville du Luxembourg avec ses 34 000 habitants) ne pèsera pas lourd en 2022 quand viendra son tour. Mais loin est le temps où les capitales postulaient : l’Union Européenne considère désormais qu’elles n’en ont pas besoin.

Dans son essai Cities and the Wealth of Nations (encore lui), Jane Jacobs montre bien comment les villes doivent se bagarrer, se jauger, se confronter et se frotter avec d’autres villes de taille similaire pour se développer économiquement : se limiter à commercer avec des villes plus riches et plus développées est fatal pour les villes en retrait, car ce commerce n'est qu'un tremplin pour s'engager dans un autre type de commerce interurbain : le commerce avec les villes dans les mêmes conditions et au même stade de développement qu'elles-mêmes. Cela signifie que les villes en retrait doivent commercer le plus fortement avec d'autres villes en retrait. Autrement, le fossé entre ce qu’elles importent et ce qu’elles peuvent remplacer par leur propre production est trop grand pour être comblé.

Une chose que Lille aura réussi à faire avec Turin par exemple : des rames de métro qui ont servi lors du pic de fréquentation de la capitale du Piémont pour les JO d’hiver de 2006 circulent désormais sur la ligne 2 entre Tourcoing et Lomme. On imagine mal Transpole échanger des rames avec la RATP (même si la Gare de Lille-Flandres aura bénéficié des pierres de la Gare du Nord). Si ce type de rame issu des laboratoires de Lille I et de Centrale Lille s’exporte dans des grandes capitales, c’est pour compléter des réseaux plus larges comme à Paris (pour les aéroports d’Orly et de Roissy-Charles-de-Gaulle) ou à Séoul (dans la banlieue nord d’Uijeongbu).

Le récent passage du Big Up for Startup en est un autre exemple. Né en 2015, cet activateur de business numérique fait en 2017 un tour de France en évitant soigneusement Paris : Marseille, Montpellier, Besançon, Nantes, Nancy, Lille et Bordeaux sont au programme. La compétition / émulation fait son effet : Lille is French Tech (la marque que le territoire s’est offert dans une autre compétition à l’image) se place déjà sur la deuxième marche par le nombre de rendez-vous pris lors de sa première édition et s’imagine avec délectation grimper d’un cran dès 2018, devant Montpellier, ville-hôte des créateurs du projet et de la première édition. En croisant les doigts pour que Lyon n’entre pas trop vite dans la danse et que Nantes ne lui grille pas la politesse.

Big Up for Startup à Lille - novembre 2017

Barcelone pourrait servir de contre-exemple : boostée par l’effet conjoint d’une langue spécifique, d’une longue histoire, d’un joli coup médiatique (les JO en 1992) et d’un climat méditerranéen, cet embryon de capitale était parmi les villes favorites pour l’AEM. Jusqu’à ce que les échanges à vif avec Madrid sifflent la fin de la partie.

Si elle veut continuer à grandir, Lille doit arrêter de se projeter avec Paris, Bruxelles et Londres. Son avenir se joue dans les relations économiques et culturelles qu’elle tissera avec Anvers, Bristol, Turin, Düsseldorf, Barcelone, Göteborg et la ribambelle des métropoles françaises qui ne sont pas encore tombées dans l’orbite parisienne.

De la division de la souveraineté comme antidote aux transactions de déclin économique

jeudi 9 novembre 2017 :: perrick :: Espace urbain :: 2 commentaires :: aucun trackback

Pendant que Madrid et Barcelone s'écharpent, j'ai repris un livre de Jane Jacobs : Cities and the Wealth of Nations. Non traduit en français (à ma connaissance au moins), il trace les milles et une manières pour un territoire de tomber dans le déclin. Tout commence par une ville, avec ses deux moteurs de développement économique : le remplacement des importations d'une part et l'exportation par l'innovation d'autre part.

Cities and the Wealth of Nations - Jane Jacob

Certains territoires auront la chance d'avoir une telle ville-locomotive. Mais d'autres seront piégées par leurs matières premières (elle donne l'exemple de l'Uruguay et de sa capitale Montevideo au milieu du XXe siècle). Pour d'autres encore ce sera l'arrivée d'une technologie extérieur : les paysans rendus obsolètes par les engrais, les machines ou les techniques importées n'auront que la misère pour horizon, leur territoire n'ayant pas de ville capable de leur fournir un travail (elle se réfère à l'Ecosse du XVIIIe ou la Cotton Belt aux Etats-Unis après la guerre de Sécession). Ensuite il y a bien sûr l'illusion de l'attractivité : le temps d'amortir son équipement et l'usine ira voir ailleurs, vers un mieux offrant. Ou celle plus pernicieuse encore du capital exporté qui ne sert pas à sa ville d'origine pendant ce temps d'amortissement, et qui pourrait lui manquer si elle venait à traverser une mauvaise passe pendant cette période. Surtout une ville a besoin de consoeurs à sa taille pour échanger et faire vivre son mouvement de remplacement des importations.

Jane Jacobs propose un chemin radical et totalement utopique pour renouer avec des formes d'épanouissement économique : diviser les économies nationales qui étouffent les échanges fructueux entre villes et forcent ce qu'elle appelle les transactions de déclin (à commencer par les subventions obligatoires) pour laisser à ces dernières la gestion de leur développement (à commencer par leur propre monnaie, considérée en particulier comme un régulateur économique automatique : les Français avec leurs dévaluations successives en connaissent quelque chose).

Je la cite : l'équivalent pour une unité politique serait de résister à la tentation de s'engager dans des transactions de déclin en ne cherchant pas à maintenir la cohésion. La discontinuité radicale serait donc la division d'une souveraineté unique en une famille de souverainetés plus petites, non pas après que les échanges aient atteint un stade de dégradation et de désintégration, mais bien avant quand l'activité se développe encore raisonnablement bien. Dans une société nationale qui se comporterait ainsi, la multiplication des souverainetés par division serait l'accompagnement normal et non traumatisant du développement économique lui-même et de la complexité croissante de la vie économique et sociale.

Et même si Madrid et Barcelone (sans parler de Vitoria-Gasteiz ou de Saint-Jacques-de-Compostelle) arrivaient à se mettre d'accord - on peut toujours rêver - pour appliquer ces idées, je ne pas certain que l'euro soit la bonne carte à jouer ensuite. A moins bien sûr que la Catalogne utilise le projet de monnaie locale barcelonais, contre l'avis de la banque centrale madrilène bien sûr.

L'autre histoire avec Philippe Meyer : le Nouvel Esprit Public ne se finance plus avec l'argent public

lundi 6 novembre 2017 :: perrick :: Connexe(s) :: aucun commentaire :: aucun trackback

Il y avait donc une autre histoire avec Philippe Meyer, il est plus que temps d'en parler. Plus que temps puisqu'il ne reste plus qu'une poignée d'heures pour financer son Nouvel Esprit Public. Je viens enfin de le faire parce que 1/ il a compris quelque chose du numérique (en peau de caste, des pages éparpillées sur différentes plateformes comme autant de cailloux blancs, une campagne de financement participatif, un site web pour retrouver un semblant d'unité) et du service public (un échange continue avec les auditeurs, une retenue sur les faits, un mélange d'humour et de bonhommie), 2/ j'ai longtemps regretté de ne pas avoir découvert cette émission plus tôt (elle est depuis devenu une des raisons de faire un petit tour en courant le dimanche soir), 3/ les invités préparent leur sujet, s'écoutent, se respectent et parlent sans crainte de la virgule (les gros yeux de Philippe Meyer suffisent visiblement), et 4/ l'hôte ne se lasse pas de distinguer éditorialistes et journalistes et de préférer aux commentaires convenus un résumé efficace des thématiques abordées.

Bien sûr les critiques ne manquent pas : des hommes ergotant sur les différentes nuances du "centre" à la française auront toujours besoin d'une Nicole Gnesotto pour montrer que les chemins démocratiques existent à gauche ou d'un Lionel Zinsou pour apporter une couleur moins franco-française aux débats. Mais j'espère que ma modeste contribution permettra aux émissions de l'été, de Pâques et de Noël de se poursuivre elles aussi : j'avais par exemple découvert Pierre Veltz et sa société hyper-industrielle ou Pascal Brice, directeur de l'Ofpra à ces occasions.

Petite balade économico-touristique en Bretagne : Lechiagat

lundi 23 octobre 2017 :: perrick :: Espace urbain :: aucun commentaire :: aucun trackback

Cet été nous avons été accueilli par le phare de Croas-Malo, emblème de Lechiagat, le quartier portuaire de la commune de Treffiagat dans le pays bigouden où nous avons passé deux semaines en famille, entre l'océan atlantique et l'estuaire du Steir. Un coin tranquille au fin fond du Finistère, remarquable par des ruelles apaisées et des grandes plages sans (trop de) touristes.

Phare de Croas-Malo - Lechiagat

Plage - Lechiagat

Des plages qui ont été quand même endommagées par les tempêtes, en particulier celles de 2014 : malgré l'enrochement, le cordon de dune est visiblement encore vulnérable.

Chemin côtier sur la dune - Lechiagat

Enrochement de la dune - Lechiagat

De l'autre côté de la dune, le chemin des douaniers et la littorale à vélo - Voie 5 (qui amène son lot de touristes du genre sportif à sac à dos et à sacoche), l'étang du Loch Vihan avec son menhir de Léhan et quelques maisons très récentes qui cachent leur proximité avec cette nature fragile par des buissons plus ou moins touffus.

La littorale à vélo - Voie 5 autour de l'étang du Loch Vihan - Lechiagat

Maison proche de l'étang - Lechiagat

Le parcours de santé quant à lui est laissé à l'abandon : la dune reprend les quelques droits qu'on lui laisse.

Parcours sportif I - Lechiagat

Parcours sportif II - Lechiagat

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